mercredi 31 décembre 2008

La pudeur


Tu dis que je ne comprends pas quand je t’attends depuis longtemps. Oui, on ne peut arrêter de chercher cette incompréhension. Non, cette compréhension qui ne peut jamais s’avouer. Oui, avouer à l’autre cette attente. Non, te montrer ou toi me montrer que l’attente peut se réduire à des signes. Oui, ni l’un ni l’autre ne pouvons réduire ces signes de vie à un code. Non, nous ne pouvons nous faire signe dans aucune langue ni grammaire ni conjugaison. Oui, nous inventons chaque fois différemment langue, grammaire et conjugaison pour  nous trouver à neuf, tout autre, vraiment. Non, pour retrouver ce commencement du nous qui jamais ne fait disparaître le tu de ton étrangeté. Oui, c’est cette étrange rencontre de ton inconnue qui augmente le désir. Non, qui augmente la retenue pour augmenter l’étrange. Oui, pour que le face à face préserve ton étrangeté. Non, pour que tout le corps devienne visage dans l’empourprement. Oui, dans la rougeur qui monte du visage dans tout le corps du face à face. Non, on ne se reconnaît plus derrière ce rouge de la pudeur qui augmente le désir de l’inconnu. Oui, de ton inconnue qui ne peut se montrer sans retenue. Non, sans la volubilité de la rougeur qui envahit le visage puis tout le corps et augmente la chaleur de la rencontre. Oui, augmente tout ce qui fait relation dans le corps à corps du face à face, dans le corps de ta pudeur et le visage de ma retenue. Non, dans le visage de ma pudeur et le corps de ta retenue. Oui, tu ne comprends pas que ton appel reste sans réponse dans la réponse de mon appel que tu ne comprends pas. Non, que toujours tu entends sans comprendre. Oui, que toujours j’entends sans comprendre cette incompréhension qui nous met dans le désir. Non, dans la réponse à l’appel incompréhensible de ta pudeur dans ma retenue et de ta retenue dans ma pudeur. Oui, je te prends quand tu me prends, c’est ça, exactement ça, tu me prends quand je te prends.

dimanche 28 décembre 2008

"Sauver" l'enseignement de la littérature?

Il est parfois nécessaire de penser l'actualité par son inactualité... ou de montrer l'inactualité de "l'actualité".

Je retrouve en classant (Penser/classer de Perec, Hachette, 1985: un livre déchiqueté par l'oulipisme des didactiques textuelles alors qu'il serait à mettre au programme de toute critique de l'enseignement de la littérature et donc de toute leçon de lecture à l'Ecole) un texte resté sans suite et qui me semble bien convenir aux agitations actuelles qui opposent un économisme à un corporatisme sur le dos de l'humanisme ou de ses versions réalistes contemporaines ("socle commun" et "Humanités")... 

Je me dis que le combat continue comme d'habitude à front renversé! Tout le monde veut "sauver" ce qui n'existe même pas: l'enseignement de la littérature n'est-il pas depuis longtemps le triangle des Bermudes des oeuvres et des lectures, c'est-à-dire de leur ignorance! Il faudra y revenir! Oui, le combat continue contre la langue de bois des sauveurs du signe (voir le dernier livre d'Henri Meschonnic: Dans le Bois de la langue, Laurence Teper, 2008. Voir dans ce blog, la note de lecture en attente de publication...)! Ce qui suit a donc été écrit début 2007:

***

Le 15 janvier 2007, je reçois comme beaucoup le message suivant signé Jean-Michel Maulpoix (à l'époque président de la Maison des écrivains) :

"Vous pouvez également contribuer à le faire connaître en le relayant auprès de vos connaissances. Puisque nous sommes en période électorale, nous voudrions que des engagements soient pris en faveur des études littéraires.  Bien à vous, JMM "

***

"Études littéraires : une mort annoncée ?

Dans un contexte alarmant pour la littérature, de crise de la librairie indépendante, de l’édition de création, à un moment où les  oeuvres d’exigence peinent à trouver leurs lecteurs, un rapport de l’Inspection Générale constate que la filière Littéraire de l’enseignement secondaire est en voie d’extinction. Même si, de manière dominante, la Littérature y a été instrumentalisée pour privilégier l’enseignement du discours, c¹est néanmoins la seule filière de notre système scolaire où se transmet encore une culture littéraire ; où la philosophie est vraiment présente ; où sont dispensés les seuls enseignements spécifiques d’art : musique, arts plastiques, cinéma, théâtre, danse et histoire des arts. Aucun ministre de l’Education nationale ne s’est jusqu’ici avisé de requalifier cette filière. Fatalité, ou volonté délibérée de la laisser disparaître ? Dans l’état présent : quasi plus de littérature et civilisation en langues étrangères. Pas de traduction, réputée impure, ou alors en échantillon, en un temps où l’on se réclame de l’Europe à tous coins de rues ! Comment affronter le renouvellement générationnel et les exigences de l’intégration, initier aux circulations métissées du monde en restant étanche aux oeuvres de l’imagination et des idées venues d’ailleurs. En fossilisant programmes et pédagogie de la littérature face aux mutations des outils modernes. En laissant se dévaluer une formation intellectuelle et artistique, indispensable dans tous les champs de l’activité sociale. Est-il encore temps de crier au scandale devant l’impéritie ? D’affirmer que l’enfant, héritier légitime du patrimoine artistique et acteur vivant de sa propre culture se nourrit autant aux œuvres de l’art et de l’esprit qu¹aux sciences réputées exactes et aux savoir-faire techniques. Que la Littérature n¹est pas une « discipline » parmi d’autres. L’art littéraire est irréductible aux autres. Il est par essence l’espace critique où la langue travaille, en pensée et en imaginaire, où fermentent les réalités et les utopies, sans lesquelles aucune société n¹est viable. Face aux fanatismes, croyances irrationnelles et dérives idéologiques qui feront le lit des horreurs de demain, la transmission du capital intellectuel et artistique de la littérature est une affaire de vie ou de mort. La Maison des Ecrivains appelle la communauté des écrivains, les critiques littéraires, avec eux tout ce que notre société compte d’artistes, d’intellectuels, d’éducateurs et d’agents de la culture, de professionnels du Livre, éditeurs, libraires et bibliothécaires, et les responsables politiques à dénoncer le danger majeur de voir disparaître la littérature de notre enseignement. Si vous êtes sensible aux termes de cet appel, vous pouvez le signer en envoyant un mail à l'adresse suivante :  COURRIER@MAISON-DES-ECRIVAINS.ASSO.fr "

***

À certains amis qui m’ont transmis l’appel, j’ai répondu (en m’amusant un peu !) comme ceci :

« Je ne signerai pas cet appel que je reçois pour la dixième fois... car :  Que fait "l'enfant" (sic) en terminale littéraire? À qui appartient la "Littérature" (resic)? Quel rapport entre le "renouvellement générationnel" et "l'intégration"? Qu'est-ce qu'une "société viable" (reresic)? Qu'est-ce que la "communauté des écrivains" (sic ad nauseam)? etc. Passons et ne diffusons pas ces cris d'orfraies des défenseurs de "la langue" qui "travaille"... et eux que font-ils ? Ils adorent la "Littérature" et son "capital" : ils en vivent ! Les « autres » ?... ne s'en laissent pas compter et vont chanter ou bien danser maintenant.

Serge »

Et je découvre, mais cela demandait seulement de lire, que ce texte vient d’une réduction de celui d’Anne-Marie Garat (écrivain, vice-présidente de la Maison des écrivains - et maintenant présidente) et alors on en décrypte un peu plus les tenants en ayant lu également le rapport de l’Inspection Générale (http://media.education.gouv.fr/file/63/8/3638.pdf). Depuis lors, la pétition est maintenant signée par bon nombre d’écrivains, d’universitaires et d’enseignants. On voudrait d’abord dissocier, comme on dit, le fond de la forme, l’analyse et les propositions sérieuses concernant l’enseignement de la littérature dans nos institutions d’enseignement et le maintien/la suppression de la filière L dans le secondaire. Mais ce serait ne pas comprendre de quoi il s’agit… c’est ce que certains amis demandent : signe la pétition même si tu n’es pas d’accord avec tel ou tel argument… Bref, rejoins ta corporation (écrivain, enseignant…) et ne réfléchis pas !

Non ! le fond et la forme participent ici d’un même problème : endémique dans nos institutions d’enseignement, dans nos politiques culturelles, dans nos habitudes corporatistes, dans notre « république des Lettres »… Le problème de la coupure du langage (dit parfois « ordinaire ») et de « la littérature », du populaire et du savant, du pédagogique et du didactique (en entendant par là la dichotomie du comment et du quoi enseigner), de la production et de la réception, de la création et de l’animation, de l’artistique et du culturel… bref, autant de dichotomies toujours reproduites et savamment reconduites pour couvrir des positions, des pouvoirs et des prébendes qui se disputent positions, pouvoirs et prébendes mais jamais contestent la schizophrénie qui règne pour le plus grand bénéfice des tenants du signe. Ainsi soit-il ! parce que les uns comme les autres commencent par jurer leurs grands dieux : « la langue », « la littérature », « la culture », « la civilisation », « la tradition », etc. avec majuscules et autres essences d’un réalisme langagier qui ne cesse de détruire au cœur tout effort de tenir à hauteur d’historicité forte l’humanisme.

Car voilà, les uns comme les autres se renvoient la balle pour mieux botter en touche et ignorer le poème, c’est-à-dire tout ce qui vient casser leur bel édifice côté cour ou côté jardin, briser le théologico-politique de leur politique du langage. À savoir l’ignorance absolue qu’ils veulent maintenir du nécessaire travail d’historicité des lectures quand ils proposent les uns d’« enseigner le discours » (registres et genres), de « maîtriser la langue » (grammaire et vocabulaire, orthographe et conjugaison ou « étudier la langue outil »), pour les autres de ne plus congédier « l’histoire littéraire et avec elle l’esthétique et l’histoire des idées » – je cite A.-M. Garat. Mais rhétorique et esthétique dans leurs versions forcément adaptées à l’époque, aux jeux du culturel et des pouvoirs, dans les postures traditionnelles ou modernes qui font les deux faces de la médaille signiste, s’accordent pour rendre sourds, empêcher les lectures et la lecture – la pluralité d’une part et, d’autre part, le fait que l’activité se connaisse comme telle – autrement que sous le sceau d’une herméneutique qui arrête les œuvres et les lectures au sens qu’il soit « commun » ou « savant », mis au régime du plaisir ou du travail. Garat reproduit d’ailleurs cette dernière dichotomie en demandant de (re)sanctuariser « la Littérature » comme on l’a demandé pour l’école – retirant du même coup paradoxalement tout enjeu démocratique à ces « concepts ». Je cite :

« C’est que la Littérature ne rapporte pas, elle n’est pas « visible » ; elle n’est pas rentable. Pas rentable non plus à l’école utilitariste, qui signe sa désaffection, quand elle devrait être le premier sanctuaire de la valeur. Un lieu consacré, n’ayons pas peur des gros mots : un lieu où ce qu’il y a de sacré dans les valeurs de la civilisation s’engendre et se partage ».

Où le sentimentalisme (plus bas, le « couplet du pauvre », comme disait Baudelaire, est donné comme dans les discours ministériels avec l’invocation des « plus démunis ») s’accorde avec le signisme dans sa pire version théologico-politique. Le sanctuaire des Belles-Lettres serait le lieu de « l’élaboration de la pensée critique » alors même qu’il est le moyen depuis longtemps de sa perversion, de sa destruction même puisqu’il est le lieu par excellence des académismes, des instrumentalismes de tous poils et en premier lieu de celui qui ne cesse de rappeler le super-sujet de l’impossibilité de toute pensée critique : « la langue » qui « travaille » dans cet « espace critique » que serait « l’art littéraire, irréductible aux autres »… Mais il n’y a pas de « sanctuaire » de la critique pas plus que d’art irréductible ; il y a seulement ce que font les œuvres quand il y a lecture/écriture, quand il y a un dire qui dépasse un dit, un faire qui emporte un « bien fait » voire un « mal fait » ou un « fait » tout court même littéraire, c’est-à-dire une activité qui répond d’une activité, une lecture d’une œuvre, une relation beaucoup plus qu’une transmission. Il y a à relire « la relation critique » de Starobinski qui engageait toute lecture dans une historicisation, dans un parcours même si la réécriture de ce dernier en a fait dorénavant une transmission noyée dans l’historicisme. Aussi faut-il adjoindre à cette relation critique qui engage aussi bien une pédagogie qu’un corpus, une extension de l’activité du lire qu’une extension du corpus… faut-il adjoindre dans une interaction forte une pensée du langage ou, pour reprendre les termes d’Henri Meschonnic, une théorie du langage au principe d’une historicisation des humanités, des textes littéraires, de leurs lectures…

« Que faire ? Déjà au moins transformer l’enseignement des humanités pour travailler à transformer l’humanité. C’est-à-dire enseigner la théorie du langage avec ses effets sur l’éthique, sur le politique, sur la politique. Vaste programme, sans illusions. Mais c’est comme le monde : il n’y en a pas d’autre ». C’est la clausule d’une conférence prononcée par Henri Meschonnic à Toulouse le 8 mars 2004[1]. C’est la mienne depuis que j’enseigne et que j’écris pour et par l’enseignement avec les œuvres de langage.

 



[1] H. Meschonnic, « L’Humanité, c’est de penser libre » dans Qu’est-ce que l’humanité, Actes du colloque organisé par la Bibliothèque de Toulouse (8-17 mars 2004), Bibliothèque de Toulouse, 2005, p. 5-14.

vendredi 26 décembre 2008

Un poème d'Israël Eliraz offert par Esther Orner

Le jour est passé. Je l’ai vu
passer
sur le mur de la vieille maison,
derrière la fenêtre.
Passé le jour.
Penser et repenser à toi : mais
quoi ?
À ce que j'écris ici sur toi.

Je dois parler de moi à toi.
Le silence est inutile.
Te verrais-je demain ?

Tu es à nouveau avec moi
derrière la fenêtre
remplie de feuilles. A la vue de
mon corps tu commences
doucement à voir ton corps.

Ce qui passe n'est pas seulement
l'hiver.
Le jour passe, meurt dans la
fenêtre, je l'ai vu
passer, passé le jour
traduit de l’hébreu par Esther Orner, Le Nouveau Commerce

mardi 23 décembre 2008

Vertige du graphite (avec Ben-Ami Koller)




Autant de couleurs que… la couleur, tu dis, Ben-Ami

 

 

tournoiement du trait

avec la main

qui creuse

le deuil d’une pseudochromie

pendant que s’élancent

les accents fuligineux

de la lumière vive

éclatante de couleurs

 

l’ici-bas du vertige

avec trois mains

au moins

 

la géométrique de ces perspectives particulières quelquefois ancrées dans le support par ces relevés référenciés toujours rejouant la possibilité d’une direction des lignes de fuite vers un impossible point de convergence

la picturale de ces aplats étirés taches et coulures valeurs d’une transmutation du graphite qui souffle sur le papier avec chaque fois le renouvellement d’un saturnisme qui enroule la surface dans des profondeurs invisibles

la sinueuse de ces traits exacerbés d’une violence convulsive et sans rémission rejouant les figures croquées et filtrant l’hasardeuse apparition du mouvement vers des caresses et jouissances hors représentation

 

alors vient le dessin

non l’image ou la douleur

et encore la jouissance

pour des passages lumineux

des seuils qui obscurcissent le sens

et trouent toujours ta cécité

 

sans en avoir l’air d’en avoir une grande mine de rien de noir

sans aucun semblant la grande tournure circule modestement

à tous est offert l’accueil avec des corps qui cherchent

les visages qui traversent aucun jeu de physionomie

les multiples traces d’un gisement d’alluvions amoureuses

les veines inépuisables d’explosion la secrète machination

d’une vision vers la mesure des corps divinement à vif

 

dans l’informe du cauchemar des vies usées et défaites

les essais et travaux sans cesse repris par l’énergie

la lutte pugnace contre l’oubli et pour l’oubli révélé

avec la hantise des ombres qui vivent sous les traits

 

les cadres déformés déchirés délabrés pour que rien n’arrête

le mouvement de ces corps sans limites dans leur passage

décrivant le plein de leur présent et l’impossible chute

sans que l’écrasement ne vienne défaire l’envol ici

 

ils crient ou appellent dans un silence foudroyant

autant d’élévations qui ouvrent aux formulations

les formes circulent dans les dessus-dessous des plans

qui tournent vers les secrètes concentrations lumineuses

 

tout est abandonné surtout l’image pour que l’énorme

et presque l’invisible ne soient pas vus mais vécus là

maintenant les visages reposent dans tout le corps

 

rouge l’empreinte

aux bords laissée

comme un poinçon

la distance d’un sceau

ce cachet turgescent

supplée à la nomination

et signe l’appel

 

tu réponds en ouvrant les petites portes

jusqu’au regard derrière chaque dessin

les béances d’une mémoire à vif et l’oubli

la remémoration organique disperse

la surface comme des yeux troués

 

aucune anatomie quand les corps tournent

les mains parcourent les peaux et les pores

ces convulsions et empoignades étalent

un choc amoureux contre les morts du corps

 

l’impénétrable à vif

le désir inachevé

 

tous les corps continuent dans les visages des mains qui n’arrêtent pas de couvrir d’amour la lumière venue à notre regard enfin maintenant

 

 

 

 

 

dimanche 21 décembre 2008

Un feu de joie avec la langue de bois



Henri Meschonnic, Dans le bois de la langue, Laurence Teper, 2008, 550 p., 29 €

(cette note de lecture est à paraître dans Le Français aujourd'hui en mars 2009, éd. Armand Colin; cela explique le point de vue de la lecture et le libellé : transformer la didactique par la poétique)

 

Un ouvrage qui compte 37 chapitres avec deux pages fortes d’introduction et de conclusion et c’est l’aventure dans une pensée spiralaire et donc absolument pas doctrinaire, qui reprend ses problèmes non pour des solutions mais pour tenir leur continu : le langage-les langues, le sens-le fonctionnement, la force du langage-la vie humaine… Mais outre cette tenue des problèmes par la théorie du langage, c’est une voix qui s’étant refusé aux charmes comme aux schémas, aux arguments d’autorité comme aux bricolages éclectiques, demande à son lecteur de l’engager, sa voix, d’en écouter son inconnu. Ici, pas de lecture sans relation, sans l’aventure d’une histoire vers des rapports qu’il faut penser en augmentant son « sens du langage ».

Commençons justement par cette exigence qui fait le cœur du livre : « voir le monde à travers le langage » et qui a pour première conséquence, nous concernant nous enseignants, ce « plan d’urgence pour enseigner la théorie du langage » qu’avait publié il y a bientôt dix ans notre revue (n° 130). Et rien n’a changé de ce point de vue ! C’est qu’il y a toujours, et toujours plus, à « opposer une contre-cohérence à la pensée du signe » (210). Qu’est-ce à dire ? C’est le combat depuis plus de 40 ans que mène Henri Meschonnic, depuis au moins Le Signe et le poème (Gallimard, 1975), repris ici dans toute la longue première partie : « La folie du signe ». La critique du signe s’y fait la défense du point de vue du continu. Quand c’est celui du discontinu qui souvent s’impose sans qu’on y prenne garde parce qu’il se présente comme transparent, évident, naturalisé, alors qu’il n’est qu’un point de vue certes autoritairement promulgué « scientifique » avec le structuralisme ou « normatif » avec l’heideggérianisme qui domine les « institutions du sens », comme les appelle Vincent Descombes (Minuit, 1996) mais celui-ci n’en continue pas moins d’arrimer le sens au signe et de confondre arbitraire et convention… Et justement la visée, au sens d’un travail qui ne cesse de faire avancer le livre, est avec Meschonnic celle d’une critique de tout ce qui vient imposer le réalisme du signe jusqu’à sa théologisation qui est le comble du signe mais, on peut le dire aussi après cet ouvrage, sa pente naturelle. Alors que c’est un nominalisme des œuvres et par là-même de tous les discours, comme activité dans et par le langage des sujets qui s’y inventent, qui est le seul moyen d’opérer la dissociation d’idées et de retirer au Moyen Age des historiens de la philosophie le combat du nominalisme contre le réalisme : combat actuel et intempestif avec ce livre qui en porte et en montre les enjeux. Jusque pour la vie humaine, c’est-à-dire les humains, chaque « vivre libre » à chacun. Et on comprend que Meschonnic commence par un « que ça bouge ! » contre les « assis de la pensée » (31). Parce qu’avec eux on ne peut penser « le lien (et quel lien ?) entre le langage et le corps, entre le langage et le sujet, entre la langue et la pensée, entre la langue et le discours, entre la langue et la littérature, entre la langue et la culture, entre la langue et les idées religieuses et politiques » (33). On sait la réponse habituelle (voyez n’importe quel plan d’étude, n’importe quelle maquette universitaire..), chacun pense un petit bout de tout ça et il suffirait d’additionner les résultats pour penser la situation quand la situation demande de penser justement l’ensemble comme systématicité qui travaille de partout. Je n’épuiserai pas ici tous les fils qui permettent de tenir chaque fois plus fermement rapports et systématicité par l’historicité mais je voudrais en tenir au moins deux.

Celui du linguistique est ici particulièrement important et conséquent puisqu’il justifie le titre même du livre. Se demander ce qu’est une « langue de bois » c’est justement engager un point de vue dans les affaires du langage qui permet de tenir pour ce qu’elle est « cette grande commode aux tiroirs séparés qu’est l’activité universitaire » (99) : une machine à entretenir l’impensé du langage dans les disciplines du sens. Et ce n’est pas le « mythe résurgent d’une épistémologie unitaire pour les sciences de la nature et les sciences de la société » (105) qui y changera quoi que ce soit même si certains croient que les neurones font voir le cœur du langage : les instrumentalismes courent les rues et les laboratoires… Tous aboutissent à la même chose : « la transcendance de la structure linguistique et sociale, la langue, l’État » (140) où l’on voit une fois de plus que « le réalisme est théologique et que la théologie est nécessairement réaliste » (176). Et tout cela n’est pas archéologique et ne peut se contenter d’un peu ni même seulement de beaucoup de philologie… Car ce qu’il faut, et pour chaque langue, c’est « penser les notions de valeur et d’historicité, l’une par l’autre » (197), propose Meschonnic. Pour que « sauver » telle ou telle langue, ce soit « continuer de l’inventer » (199) avec un principe fondamental peut-être aussi important que l’article premier de la déclaration des droits de l’homme : « le langage n’est pas seulement le lieu et la matière de la communication, il est avant cela même, et pour être cela, le lieu et la matière de la constitution de chaque être humain dans son histoire » (222). Avec cette conséquence qu’on peut dire considérable, par exemple pour l’enseignement : « Le langage et indissociablement matière éthique et matière politique. Et matière épique au sens où s’y constituent les aventures de la voix humaine » (223). Et c’est bien pour cela qu’il faut « oublier la langue pour défendre les langues » comme titre Meschonnic pour sa troisième partie avant de demander de « se dérivaroler » (néologisme à partir de Rivarol et de son Discours sur l’universalité de la langue mais surtout conceptualisation d’une activité indispensable à l’enseignement du français), c’est-à-dire de passer du mythe à l’histoire s’agissant de la langue française puisque « la simple introduction de l’histoire transforme les objectivités en points de vue » (263). Ce qui nous donne des pages fortes sur la relation à telle ou telle langue, « qui n’est pas du mode de l’avoir, mais du faire et de l’être fait, du transformer » (315).Ce qui conduit à ne plus faire passer le génie des écrivains pour le génie de la langue. Ce qui conduit inéluctablement à la nécessité de penser le langage dans et par la poétique comme attention au langage par les œuvres de langage, ces « aventures de la voix humaine » qui nous font mieux écouter l’aventure de chaque voix humaine. Et alors, la langue de bois fait un beau feu dans le musée des instrumentalismes…

Aussi le second fil que j’aimerais ici seulement pointer est-il celui qui constitue comme la trame de tout ce livre : l’exigence d’œuvrer au travail du point de vue et au problème de la systématique du continu, à rebours des habitudes et de l’éclectisme dominant qui lui préfère toujours le discontinu dans une analytique de l’addition et de l’absence de point de vue, du désengagement et de l’instrumentalisme. Poursuivre la pensée Spinoza (concatenatio) et la pensée Humboldt (Wechselwirkund, l’interaction), c’est ce que fait Meschonnic en relisant Saussure par le relevé précis des contre-sens qui le rattachent au structuralisme quand les notions de discours, de valeur, de système et de point de vue, constituent « les conditions de la poétique » (480) au sens où, et la relecture de Meschonnic se poursuit, Benveniste demande de penser les œuvres comme « sémantique sans sémiotique ». C’est apparemment tout simple : « bien plus que du sens et des formes, il y a une activité du discours, à écouter dans ce qu’elle fait, qui n’est pas nécessairement ce que disent les mots » (412) ! Et on sait le reproche fait à Meschonnic de pointer l’évidence ou alors de ne pas donner d’outils ( !) quand c’est justement de tenir chaque fois ce défi, et de le tenir par le continu de cette « force » qui « ne supporte aucun compromis avec le maintien de l’ordre. Qui fait les langues de bois » (514)… Et les pseudos outils qui empêchent de penser le point de vue viennent rejoindre le feu de la langue de bois dans le musée des instrumentalismes…

En conclusion, un tel livre n’est pas une somme de réponses mais l’invitation courageuse à tenir les problèmes du langage et des langues sans jamais lâcher la proie pour l’ombre,  le continu pour le discontinu, le rythme pour le signe, la « beauté du langage » qui est « de se réinventer à chaque instant soi-même et les autres » (514) pour la langue de bois… On aura compris que je n’ai fait qu’indiquer la tenue d’un tel défi : il est plein de pistes qui sont à reprendre et à saisir pour que notre enseignement se laisse le moins possible prendre aux sirènes des langues de bois dont il faut plus qu’avant peut-être se méfier sous peine de voir les études et les recherches succomber sous les coups des réalismes langagiers passéistes ou modernistes au service des pires instrumentalismes politiques.

Vous n’avez pas encore lu un essai de Meschonnic parce que vous croyez qu’il est seulement traducteur de la Bible ou poète ; peut-être n’avez-vous lu que le premier (Pour la poétique 1) parce que les bibliographies universitaires s’arrêtent à 1970 ( !) : (re)commencez par le dernier ! Et pour ne pas en finir et commencer avant Platon, je vous recommande les pages sur Héraclite (76-84).

Serge Martin

 Voir aussi la lecture de Laurent Mourey à cette adresse : 

http://revue-resonancegenerale.blogspot.com/2008/11/note-sur-dans-le-bois-de-la-langue.html


vendredi 19 décembre 2008

Ben-Ami Koller maintenant derrière ses toiles


Il est mort l'ami.
Il ne peindra plus les corps, ne tiendra plus la main des figures, ne poussera plus les couleurs: il est passé derrière les toiles, les dessins, les carnets, les visages pour mieux nous voir, nous tenir dans sa vue.
Et sa vue nous engage à le suivre dans ce qui ne peut pas se voir sans transformer tout ce qu'on peut dire avec l'art, tout ce qu'on peut vivre depuis l'art. Cela demande de recommencer avec ses gestes qui sont des gestes éthiques bien plus qu'esthétiques, des gestes vertigineux bien plus que des gestes calculés, des gestes qui déchirent, dénouent, démembrent tout en renouant, remémorant organiquement tout ce qui fait le mystère du corps vivant, de la vie des corps, de la vie corporelle. Oui, sa peinture est la geste d'une main s'épuisant à porter tout l'organique à hauteur d'humain, à hauteur de tout ce que peut un corps, à hauteur du divin de l'homme vivant jusque dans les plus extrêmes souffrances, jusque dans la déréliction la plus banale. L'enlacement amoureux de sa main avec le papier et sa déchirure, avec la couleur et ses coulures, fait de sa peinture et de ses dessins les opérateurs d'une vue qui emporte tout notre regard dans un ailleurs du visible, dans un visible qui traverse tout le corps, toute la vie, tout le langage pour ne jamais s'arrêter: sa signature est une danse, ses dessins et toiles sont des chorégraphies de l'humain au plus près de ce que nous sommes avec tout ce qu'il nous faut comprendre sans jamais pouvoir nous l'expliquer: les horreurs et le rire, les souffrances et l'amour, les disparus et l'oubli, la mort et la vie.
Ben-Ami signe encore et toujours l'enlacement d'un tracé, comme on dit un phrasé, qui fait une voix qu'on ne peut cesser de voir pour qu'elle nous tienne debout dans nos nuits face à l'inconnu.
Ben-Ami est vivant quand notre vue se lève devant ses dessins, ses toiles.

Voir aussi:
http://revue-resonancegenerale.blogspot.com/2008/12/un-ami-est-parti.html

jeudi 18 décembre 2008

"Un livre de fables" de Bernard Noël



Onze fables rassemblées avec des encres de Philippe Hélénon (voir Rehauts n° 17).
Avec toujours chez Bernard Noël, la recherche de l'interlocuteur qui met le dire dans une recherche des voix qui jamais ne peuvent s'identifier aux termes d'une relation avant la relation ("je ne suis pas toi / je ne suis pas moi", 56). Les voix peuvent venir de loin ou être tellement proche qu'elle résonnent une intériorité qu'on ne peut limiter à un dedans parce que "le sens est comme un élan" (87). C'est que les fables ici sont plus des modes de dire que des histoires qui auraient perdu leur force de dire. La diction est une épopée: qu'elle se ressource dans le "Chilam" (17-29) ou dans "celui qui dit moi" (81) ou qu'elle soit livrée "à la bête / pour inventer l'ange" (121). L'épopée d'une "rencontre / du vent sur la main" (118) pour risquer autant d'expériences qu'il est possible. par exemple, celle-ci:
"quelqu'un se perd dans le ciel
il n'a plus ni haut ni bas
et le vertige est en lui
ce qui reste de l'esprit" (103)
Mais les fables ainsi portées par leur dire ne sont pas de ces fables qui viennent moraliser quand leur morale, leur force éthique, vient justement relancer sans cesse les questions - non celles toutes faites ou toutes prises dans les habitudes, les cadres, les pensées - mais celles qui creusent leur questionnement:
"mais qui se demande encore
ce qu'il ne voit pas dans ce qu'il voit" (97)
Alors ces fables nous accompagnent dans le secret de leur dire parce que "la vie ne dit que la vie" (87) et c'est un présent qui élargit le temps, qui le rend à proprement parler fabuleux. Un gain considérable que réalisent ces épopées minuscules:
"en ce temps-là
je ne suis plus dans hier
je ne suis pas encore dans demain" (57).
Et en même temps (quel temps?): "on a perdu le milieu".
C'est ce vertige fabuleux - il est éthique et politique dans et par le poème-relation - que j'aime avec Bernard Noël.

Un livre qui emporte:
Bernard Noël, Un Livre de fables, Fata Morgana, 2008.


samedi 29 novembre 2008

Un petit livre de Ritman à découvrir dans ce catalogue dirigé par Daniel Leuwers


RICHESSES DU LIVRE PAUVRE [2008]. Avec des études et témoignages de Georges Badin, Béatrice Casadesus, Henri Droguet, Max Fullenbaum, Philippe Hélénon et Henri Meschonnic, 200 pages, ill., sous couv. ill., 210 x 280 mm. Albums Beaux Livres, Gallimard -art. ISBN 9782070123070. 

6 jours à Haïfa en novembre 2008


jus de grenade à Haïfa (novembre 2008)

 

 

les verres penchent dans l’amitié quand les rues tombent vers la baie et le Liban dans la nuit est là dans le même ciel

nous renversons tous les rapports de force en quelques mots et sourires pendant que les poèmes viennent de Nazareth

ils font l’amour pas la guerre tu sais pourtant t’énerver quand la guéguerre des places augmente les petits mots tueurs

le désastre de la poétisation et je bois ton rire jusque dans l’eau rouge qui suit les traces des fleurs de Bahá’i perdues

dans les ruelles et marches du port fermé nous partons dans l’autre sens en marchant sur le ciment frais du dimanche

elles remontent au Carmel jusqu’au trentième étage et le vertige de l’impossible recommence avec cet avion

il passe la frontière en arrosant les plantes assoiffées de ton jus de grenade mon explosante fixe viens nous perdre

faire l’amour pas la guerre je sais pourtant me calmer quand la danse des éthiopiennes efface la poésie grandiloquente

des grands communicants de l’espace francophone oui nous buvons avec les vivants du poème je cours vers tout

ton hébreu truffé d’anglais et de berechit nous commençons éternels débutants de la guerre dans le langage sous le soleil

ta grenade impossible à acheter dans le souk de Jérusalem jour du shabbat en attendant que le tram porte les mains serrées

chacun dans le langage-relation avec la guerre pressée dans le jus de ta grenade écrasée dans nos valises comme

un poème qui vient sans jamais dire la paix des autres la guerre de soi comme un geste inaccompli une bière sans mousse

je te bois dans tous les jus de grenade pressée alors tu commences à me parler dans l’hébreu d’une voix arabe sans rien

comprendre

dimanche 16 novembre 2008

La nudité


Oui, c’est toujours cette première fois. Non, c’est encore la dernière fois comme la première. La fois comme toujours plusieurs et une seule. Oui, la fois qui n’arrête pas d’éblouir ma vue. Non, avec ce qui vient dans les yeux, c’est tout le corps jusqu’à toute la peau qui frisonne. Non, tout le corps sans qu’intérieur et extérieur ne trouvent les limites. Oui, l’air de ta nudité éblouit tout l’espace qui devient, oui, tout mon corps. Non, tout ton corps qui devient tout mon corps. Non, ce n’est pas le corps, c’est la lumière. Oui, la lumière de ta nudité ne fait plus seulement un corps nu mais la nudité de toute la vie ici toujours. Non, la nudité de tout ce qui est le plus vivant. La peau, oui, qui résonne des milliers d’étoiles de ta voie lactée qui me ferment les yeux. Non, je ferme toujours les yeux pour mieux te voir nu parce que les yeux fermés je te voix dans tout l’espace du vivant. Oui, ta nudité envahit ma nuit intérieure et toutes les nuits extérieures que fait le monde. C’est que, non, le monde de ta nudité n’a rien à voir avec aucune image qu’il faudrait décrire. Oui, ta nudité transforme toutes les nuits en lumière et tous les jours en nuits lumineuses. Non, ta nudité invente les jours et les nuits d’une lumière toujours nouvelle. Oui, la lumière de ta nudité la première et la dernière fois. Non, je ne peux que les confondre et ta nudité recommence. Comme la dernière fois, c’est la première fois, oui !

jeudi 13 novembre 2008

Un calendrier 2009 : un poème par jour


CALENDRIER DE LA POÉSIE
FRANCOPHONE 2009

L'année en poèmes

365 poèmes | 300 poètes

  • Plus de 300 poètes francophones, des plus illustres aux plus méconnus ; des précurseurs aux « maudits ». Les retrouver, les découvrir... Des poètes célèbres, d’autres à révéler.
  • 365 poèmes d’hier et d’aujourd’hui, poèmes éternels. Un voyage à travers les époques et les styles : baroque, romantisme, symbolisme, surréalisme… Un parcours des genres et des formes : rondeaux, odes, élégies, sonnets, chansons, vers libres…

Plus qu’un calendrier, un livre à garder. Anthologie enrichie d’une table par auteur / titre.

« L’absorption immodérée de mollusques revanchards, la mise en coupe de boissons allègrement bullifères auront selon toute probabilité émoussé la vigueur, tant physique qu’intellectuelle, de plus d’un. Autant commencer l’année en douceur, par un léger exercice de décrassage, à feuilleter d’un doigt indolent le Calendrier de la poésie francophone édité par l’Alhambra Publishing…une réalisation élégante et pratique. » Claude Vercey

« Si ce calendrier peut se lire d’une seule traite, comme une quelconque anthologie, je recommanderai plutôt de l’installer sur son bureau pour une « consommation  poétique » journalière laissant place à la surprise. Quelle meilleure initiation à la poésie que cette visite quotidienne du calendrier de la poésie francophone ? » Alain Helissen

« Un poème par jour pour vivre chaque jour comme une vie. » Zéno Bianu

« Avec cette anthologie chaque jour est un anniversaire contre le temps. »Serge Pey

Le calendrier existe aussi en anglais, allemand, italien et espagnol... une bonne idée cadeau...

ISBN 13 978-2-87448-018-8
Price: EUR 25,95

mercredi 12 novembre 2008

Ghérasim Ghérasim Luca à Bordeaux : le 8 novembre 2008




Sous la reproduction de la cubomanie intitulée "passionnément", l'annonce de la manifestation à la bibliothèque Mériadeck ; puis une vue de l'exposition au moment du vernissage avec au fond Micheline Catti, la compagne de Ghérasim Luca, et Evelyne Rochetto qui a merveilleusement présenté les cubomanies dans l'espace d'exposition de la bibliothèque ; le début de la conférence-performance dont le texte figure ci-dessous (les deux dernières photographies sont d'Isabelle Jais, merci à elle):

S'asseoir sans chaise avec Ghérasim Luca, ses cubomanies et ontophonies


Le texte qui suit a été prononcé pour le vernissage de l’exposition des œuvres plastiques de Ghérasim Luca à la Bibliothèque municipale de Bordeaux Mériadeck le 8 novembre 2008. Cette exposition, du 8 au 29 novembre, prenait place dans l’ensemble « No man’s langue. Prendre corps avec Ghérasim Luca » organisé par la Compagnie des Limbes (dir. Romain Jarry et Loïc Varanguien de Villepin) dans le cadre de Novart à Bordeaux. 48 cubomanies et 10 dessins aux points ainsi que de précieux documents montraient les œuvres choisies et prêtées par Micheline Catti, la compagne de Ghérasim Luca,  dans un dispositif conçue par Evelyne Rocchetto. La conférence-performance suivait la projection du DVD Comment s’en sortir sans sortir, récital télévisuel de Ghérasim Luca réalisé par Raoul Sangla en 1988 et publié par les éditions Corti.
J'offre ce texte à Micheline Catti en la remerciant pour son écoute et sa grande générosité.


Programme pour une position Luca
vers une exposition pour « glissez, glissez à votre-tour »
Ghérasim Luca (1913-1993) est un grand singulier du XXe siècle: inassignable et irréductible, son œuvre-vie est entièrement dans l’époque et à contre-époque. C’est pourquoi elle continue à nous toucher. Elle (re)fait nos relations : nos histoires et nos liaisons. Dire et voir, s’entendre et s’aimer ne sont plus pareils après les cubomanies ou les ontophonies, si l’on veut bien accepter ces désignations pour les tableaux et les poèmes. Plus encore, l’oeuvre-vie de Luca est l’invention continue de ce que peut faire un poème et un tableau : et cela change tout du langage et de la vie, cela les met l’un dans et par l’autre. Pour la présentation qui suit, on ira vers la définition-valeur du poème prise à son “autodétermination” : s’asseoir sans chaise. Manière de tenir le corps et le langage au plus fort avec le poème dans tous ses états, dans et par les mouvements cubomaniaques et ontophoniques à Luca qui deviennent nos expériences : voir et se voir, lire et se lire, vivre et s’aimer… avec Luca.

Une vie « sans papiers »

Ghérasim Luca est né Salman Locker en 1913 à Bucarest. Il pratique le roumain et le yiddish mais aussi le français et l’allemand. Il commence très jeune à publier dans des revues à tendance surréaliste en en créant lui-même avec ses amis et fait le voyage à Paris sans toutefois rencontrer André Breton. La guerre puis le régime communiste l’obligent à quitter la Roumaine. Il s’installe à Paris à partir de 1953 jusqu’à sa mort en 1994. Il se déclare apatride et refusera tout passeport. Il s’est donné entièrement à la création artistique mêlant les livres de poèmes et les lectures publiques, les cubomanies et les dessins pointillistes.
Je recommence…
Ghérasim Luca est « sans papiers ». Sans patrie, sans état civil, sans procédés, sans manières, sans attaches, sans mouvements, sans écoles. Il est « sans langue » comme il dit de « la poésie[1] » et donc sans ce rapport œdipien à la langue dite maternelle puisque c’est l’œuvre qui est maternelle et non la langue[2] et, avec Luca, c’est même l’œuvre qui ouvre à une langue hors de tout rapport œdipien parce qu’avec Luca, la poésie, la vie ne sont pas dans la langue, dans Œdipe mais dans et par « le théâtre de bouche » de « l’inventeur de l’amour ». Luca est entièrement dans et par le poème « hermétiquement ouvert » : un nom dans et par un égarement[3], un nom qu’il s’est fait dans et par son œuvre qui a inventé un égarement à cent lieues des maîtrises et autres traîtrises. Ghérasim Luca comme autant de poèmes et de tableaux hermétiquement ouverts. Non pour une ouverture qui se prévoit mais pour une ouverture qui se cherche jusque dans ses fermetures, ses refus, dans les désaccords des accords (voir Théâtre de bouche, p. 71). Éthique d’un dialogisme en actes de poème. À cent lieues du dialogue politiquement correct à la Habermas-Ricoeur. À cent lieues des poétisations d’une éthiquement correcte « poéthique » à la Deguy-Pinson[4]. Ghérasim Luca engage la poésie et la vie, la peinture et la vie, l’art et chaque vie humaine à « prendre corps ». Tentative vertigineuse que je résumerai ici par une de ses merveilleuses formules : « s’asseoir sans chaise » (« Autodétermination » dans Héros-limite, p. 45-46). Il en est beaucoup d’autres qui sont autant d’opérateurs d’intensification des relations : « inspirer en expirant, expirer en inspirant » (« Quart d’heure de culture métaphysique » dans Le Chant de la carpe, p. 91) mais aussi à « comment s’en sortir sans sortir »… et à partir de maintenant à tout ce que nous fait n’importe lequel de ses ontophonies, n’importe laquelle de ses cubomanies. Nous mettre à hauteur d’homme, à hauteur de vie, à hauteur d’amour parce que s’y confondent dans une oralité critique la volubilité et la retenue, l’emportement et la douceur, le cri et la rime.
Luca recommence :
Je suis certain qu’il aurait été plus rassurant
pour la bonne marche de la turpitude humaine
que j’eusse été un assassin féroce
ou un incendiaire absurde
car dans ce cas j’aurais pu être réduit
à l’une de leurs données prévisibles

mais jamais on ne me pardonnera
le sable mouvant de mes gestes souples
atroces et vertigineux comme les volcans
les glissements de terrain
d’une rencontre à l’autre (L’Inventeur de l’amour, p. 51)
Ce qui lance très précisément notre recherche. Elle ne peut que prolonger « les glissements de terrain / d’une rencontre à l’autre » en étant portée par le poème-relation de Luca et le continu des expériences ontophoniques ou cubomaniaques…

Une œuvre pleine de volubilité et retenue pour s’asseoir sans chaises

Il ne faut certainement pas voir dans les cubomanies de Luca une quelconque célébration d’œuvres sources pas plus qu’un jeu de devinette ou même un jeu de construction voire de reconstruction si ce n’est de déconstruction. Faut-il y voir pour autant une restitution plastique du bégaiement de la langue de Luca[5] ? Il y aurait une évidence apparente : prolifération syllabique et collage cubique résonneraient analogiquement. Mais la célébration esthétique refusée ne se transformerait-elle pas alors en une esthétique célébrée puisqu’avec les cubomanies, on aurait affaire à un jeu de formes équivalent au bégaiement structurant les poèmes ?
Les questions ne sont pas simples mais c’est avec des questions et non des solutions toutes faites antérieures aux problèmes qu’ouvre l’œuvre, qu’il faut inventer sa lecture puisque comme disait Luca en présentant ses premières cubomanies : « La cubomanie rend le connu méconnaissable[6] ». Et si ses premières expériences portent sur les images de l’actualité dans la presse pour ensuite se concentrer sur quelques chefs-d’œuvre de l’art occidental, Luca n’a cessé de travailler à ce qu’il appelait « une fossilisation de l’époque[7] » et donc à une fossilisation de la culture muséale, de nos regards formés par cette culture, pour en faire un combustible de l’art comme expérience de l’inconnu, pour nous refaire le regard et la pensée, le langage avec. Par quoi, il faut effectivement tenir à la fois les cubomanies et les ontophonies, mais, les confondre par le procédé, ce serait certainement tomber dans deux confusions : celle du continu du langage avec le continu logique sémiotique tant pour le poème que pour la peinture et, d’autre part, ce serait confondre continu et continuité. En effet, le fait qu’un même auteur produise poèmes et peintures fait qu’il y a forcément une continuité dans cette discontinuité d’activité mais ne dit rien de la spécificité de son activité et encore moins du continu des modalités diverses de son art… Car si Luca avait quelque chose à dire, pourquoi aurait-il eu besoin de se répéter en changeant de code, comme on répète en réduisant par là-même l’une et l’autre à une communication au lieu de penser relation et langage, langage-relation ? Dans une telle conception, Luca serait doublement bègue dans le psittacisme des syllabes et des cubes ou des points, dans le psittacisme de la poésie et de la peinture. Mais Luca ne relève d’aucune pathologie du langage ou de la vie, il fait la vie et le langage, nous les refait, nous apprend même ce que c’est que vivre et voir, se parler et s’aimer…
Il y a donc à chercher ce que fait Luca quand il écrit et quand il peint. Non seulement en restant Luca, c’est le moins qu’on lui souhaite étant déjà bègue, il n’a pas besoin de devenir schizophrène. Mais surtout en devenant ce qu’il ne cesse de nous faire dans et par le continu d’une force que poèmes et tableaux inventent. D’une part, il met le discours au milieu des mots et ne se contente pas d’un bégaiement syllabique : « le crime / entre le cri et la rime » (Le Chant de la carpe, 99) et ailleurs « ses CRIMES sans initiale » (La proie s’ombre, 61). D’autre part, il met la peinture au régime d’une rime interminable un peu comme Braque parlait de l’importance de ce qui était entre deux motifs dans ses tableaux : « ce qui est entre la pomme et l’assiette se peint aussi. Et ma foi il me paraît aussi difficile de peindre l’entre-deux que la chose. Cet entre-deux me paraît un élément aussi capital que ce qu’ils nomment l’objet. C’est justement le rapport de ces objets entre eux et de l’objet avec l’entre-deux qui constitue le sujet[8] ». Donc la peinture venant dans les glissements de l’entre-deux des motifs et des détails les plus anodins ou les plus reconnaissables. Et non la répétition de ce que Dada a déjà fait en détruisant-moquant les idoles de l’art ou de ce que le cubisme a inventé en montrant la même chose sous des angles différents. Avec Luca, c’est l’imprévisible et l’irréversible : le vertige de la relation. Et ce vertige de « v’ivre » nous vient chaque fois que le poème Luca agit par le continu d’un entre-deux relationnel dont les termes sont indéterminés et quoiqu’il en soit jamais antérieurs à l’opération relationnelle elle-même, d’une rime généralisée, d’une « sonorité générale[9] », d’un « glissez, glissez à votre tour » (Le Chant de la carpe, p. 83).
« La prolifération des syllabes » ne correspond à rien de ce qui fait le poème Luca : ne pourrait-on pas dire cela de n’importe quel texte ! Et les syllabes n’ont jamais constitué les unités de textes qui chaque fois font tout pour que l’unité soit celle de leur action même (« on passe la parole à l’acte », Paralipoèmens, p. 37), de leur mouvement pour le moins qui invente une unité bien supérieure à la syllabe, qu’on peut appeler la rime généralisée – étant toujours entendu qu’avec Luca, les rimes viennent dans le continu des de « ses CRIMES sans initiale ». Par conséquent, il ne s’est jamais agi pour Luca d’exprimer l’impossibilité de dire ou de jouer la confusion des propos. C’est l’abandon à une volubilité qui invente un sujet inouï, un sujet relation qui « jette à la face du monde // le gant /// le grand rire (…) //// l’appel d’air du rire / à mourir de fou rire (…) », dont le nom fait la signature-appel du poème « Le verbe ». Ce sujet, Luca l’appelle significativement « Glissez-glissez-à-votre-tour » (Le Chant de la carpe, p. 80-83). C’est donc non la prolifération des syllabes mais celle d’un « à-votre-tour », d’un mode de subjectivation, qui fait le poème Luca comme passage en force, passage au corps à corps, au bouche à bouche d’un « je t’écris / tu me penses » (« Prendre corps » dans Paralipomènes, p. 298) par lequel il n’y a aucun procédé, aucune autre unité que du sujet en train de nous devenir. Les textes de Luca font chaque fois une aventure de la voix humaine, l’épopée de la relation comme physique du langage-relation, un « prendre corps » actif : « je te mains / je te sueur / je te langue / je te nuque / je te navigue / je t’ombre je te corps et te fantôme / je te rétine dans mon souffle / tu t’iris // je t’écris / tu me penses » (ibid.).
Les cubomanies sont de leur côté autant d’expériences non de restitution ni de destitution mais de constitution au sens d’invention, pour qu’avec les poèmes, le regard fasse poème chaque fois que la manie du dé, la cubomanie, c’est-à-dire la folie du désir, vient désabolir le hasard, c’est-à-dire relancer le défi du désir, le (dé)lire du poème comme activité de désapprendre à lire, de défaire les lectures académiques et culturelles, scolaires et universitaires, transmises et médiatisées, de ces peintures, de ces chefs-d’œuvre de l’art, qu’on ne voyait plus que comme des icônes, des images, des représentations quand la peinture est d’abord le commencement du « Rêve en Action » (Héros-limite, p. 48) c’est-à-dire quand elle se fait peinture et continue à faire peinture.
Mais comme nous sommes tellement habitués à aller voir aligné dans un musée ou dans un catalogue ou dans un livre d’art ou dans un manuel scolaire, chaque tableau comme une station du culte des images, Luca nous fait voir de la peinture par ses cubomanies où chaque tableau devient le commencement « de la / matière de la matière de mon esprit / dans l’esprit de mon corps dans le corps / de mes rêves de mes rêves en action » (Héros-limite, p. 50). Avec Luca, la peinture n’est plus de l’ordre de la reconnaissance avec son cortège de génuflexions devant les signes, de célébration du sacré dans l’art, de réduction de la relation à l’esthétique où le beau s’achève en formes ou en viandes, en grammaires ou en cadavres tout juste bons pour des alignements, des classements, des entassements. Avec les cubomanies, la peinture devient peinture, c’est-à-dire folie du dé à jouer, du hasard du désir, de la rencontre fortuite, du sujet-relation, de l’amour. Mais cette expérience n’a rien à voir avec une rencontre prévisible comme celle que le signe esthétique organise en accumulant les éléments discrets et donc discontinus d’une grammaire. Elle n’a rien à voir avec une rencontre de sujet à objet, d’intérieur à extérieur : la rencontre demande des « caresses en transe » qu’il faut aussi entendre comme des adresses en trans-, oui, en trans-subjectivité, en passage de sujet, d’un sujet en « transferts insolites », « en sperme de ton cœur », en « absolument absolue » (Héros-limite, p. 54). L’opération ou si l’on préfère l’activité, car c’est elle qui porte « l’objet offert », donc la peinture est à proprement parler comme dans le poème parce que la peinture n’advient qu’en relançant sans cesse l’activité commencée, suscitée, lancée dans et par ce qu’elle nous fait « silanxieusement » devenir au cœur de son rêve en action. La peinture cubomaniaque nous fait, encore plus qu’elle nous met, dans « la morphologie de la métamorphose ». Une morphologie, c’est-à-dire une recherche de la forme de langage comme physique du langage, comme corps-langage, qui ne cesse de se transformer, de nous transformer au point même de pouvoir poursuivre jusqu’à s’infinir ainsi :
et c’est ainsi que la mort est bien morte
elle est bien morte la mort
la mort folle la morphologie de la
la morphologie de la métamorphose de l’orgie
la morphologie de la métamorphose de (Héros-limite, p. 64)
Oui, chaque cubomanie lance une morphologie de la métamorphose de ce qui maintenant est bien mort : l’image. Pour laisser place, toute sa place, toute sa vie au rêve en action.
Ce que fait Luca avec quelques tableaux du panthéon muséal et culturel, c’est de les rendre à la peinture en inventant des rimes qui ne seraient plus celles d’un analogisme qui vous fait parler en singe un peu comme fait la publicité ou toute la communication car Luca l’a bien vu : ce qui depuis le musée s’est produit avec la peinture, c’est certes une laïcisation que les musées ont permis mais c’est aussi une continuation par d’autres moyens du religieux et du sacré dans les arts visuels. Avec tout l’arsenal sémiotique qui fixe les cadres interprétatifs dans la régie du signe tantôt vers le dévoilement du sens, tantôt vers l’impossibilité du sens en assurant ainsi sa nécessité hors de l’activité transubjective des œuvres et donc en livrant les œuvres d’art aux régies de l’image que détiennent les divers pouvoirs discursifs dans le discontinu des catégories de la pensée du signe. Aussi Luca invente-t-il tout contre ce signisme généralisé dans la modestie d’un travail qui est de l’ordre de l’imperceptible mais d’une portée insoupçonnable. Avec Luca, il n’y a plus à avoir le nez sur la vérité en peinture[10] accaparée par le discours religieux et son droit canon, ou plus récemment depuis l’invention du musée par la philosophie esthétique et son herméneutique phénoménologique ou les diverses sémiotiques phénoménologiques ou pas. Avec Luca, il y a à retrouver ce que les Anciens connaissaient bien, la force qui emporte le sens et la vérité,  ces adaptations de la force instrumentalisée, arraisonnée qui veulent toujours la soumettre. Cette force chez Luca est l’association interactive d’une volubilité et d’une retenue. En cela les cubomanies ont peu à voir avec la plupart des collages qui restent des jeux de société dans le contemporain pas plus qu’elles n’ont à voir avec un quelconque dévoilement du sens de la tradition qui par le travail du hasard apparaîtrait enfin dans une alêthéia parce qu’il faut bien selon ses mauvais joueurs toujours un peu autoritaires s’y soumettre à la recherche de l’être et de sa majuscule essentialisante quand il s’agit d’un vivre ou simplement d’être. Les cubomanies sont des tentatives de suivre la force des œuvres en ouvrant leur boîte à rimes c’est-à-dire en intensifiant ce qui en elle fait valeur par une sémantique sérielle : ces glissements des détails découpés puis ajustés parfaitement dans l’infime font comme les glissements prosodiques qui déploient un phrasé du glissement paronomastique généralisé. Toujours donc le rythme d’un entre-deux qui ne cesse de relancer la force du poème-relation, l’invention d’un s’asseoir sans chaise : aucune stase ni pose, pas plus de pause puisque le mouvement de la parole volubile dans ses retenues mêmes est toujours glissant, tournoyant, mobilité de l’immobile. L’ontophonie de Luca met l’ontologie dans le poème et non le poème dans l’ontologie… sans compter que Luca ne fait pas un « usage poétique du langage » qui s’opposerait à un « usage ordinaire ». Le langage n’a pas d’usage, c’est lui qui vous fait et quand Luca écrit : « Ce qui passe pour parfaitement immobile / pousse ce qui semble curieusement ambulatoire / à faire semblant d’être fixe sinon immuable // Ainsi ce qui a l’air de s’arrêter malgré tout / passe pour s’agiter follement autour » (La Proie s’ombre, 17), il engage une conception du langage par le poème et du poème par tout le langage qui met quiconque, c’est-à-dire chacun d’entre nous dans ce mouvement où « chacun glisse en chacun » (23). Ce qui met le poème au cœur de tout le langage, du langage qui invente de tels « chacun ». Il en est de même avec chacune des cubomanies.
Il y a de mauvaises habitudes avec la poésie, avec la littérature, avec l’art, avec la condition humaine. Celle par exemple de l’historicisme qui met toute expérience au passé, plus précisément au passé du passé. Et c’est intolérable parce qu’on oublie qu’il y a un présent du passé et même un futur du passé. Alors quand on m’explique la poésie, la littérature, la peinture, la condition humaine pour en faire l’histoire en rangeant ces expériences dans les rayons du connu, dans les rayons bien étiquetés des procédés, des mouvements, des successions et héritages, des influences et inventions brevetées, des ruptures et continuités, bref de tout ce qui arase les spécificités et surtout de tout ce qui empêche le continu des historicités, le travail invisible et souvent inaudible de ce continu, le travail de ce qui est « sans fin / ni commencement », le « REVE GENERAL » dans la « gREVE GENERALe » (La Proie s’ombre, p. 45), je ne peux m’empêcher de me dire que c’est toujours « au nom de / cette espèce d’épicier de l’essence / que l’homme a été sué / puis / épuisé et sucré », comme dit le « père » dans « l’évidence » du Théâtre de bouche (p. 34). Oui, ce théâtre de bouche qu’engage Luca c’est vraiment une « pipe du corps / dans le bec de pape de l’esprit » (73), comme dit le « deuxième lutteur » des « vaincus », non pour exclure « l’esprit » mais bien pour chercher : « dans l’état d’esprit d’un corps / l’esprit incorpore le corps / comme la pie le porc » (75). C’est qu’avec Luca, il n’y a pas à dévoiler ou à interpréter des métaphores mais à prendre ensemble « les râles de l’esprit / et les rages du corps », c’est-à-dire « les orages / du corps et de l’esprit » (76) contre la « philosophie en mots d’esprit », la « philosophie à la mode / suspendue au-dessus de nos têtes » (77) jusqu’à la confondre dans « l’échec épique / de l’écho d’être » (78). Oui, Luca n’y va pas avec le dos de la cuillère avec les académies de l’esprit et, juste avant qu’on entende les cloches de Saint-Germain-des-Prés – ah la paroisse des philosophes –, non loin de la vespasienne où stationnent ses personnages, une « personne » ne dit-elle pas : « Quelle honte ! / Pendant que vous errez / dans l’humidité d’être / et que nous sommes bien obligés / de humer vos raisons / l’écho de votre passage / résonne comme une église » (86). Oui, il y a trop de résonance religieuse ! il y a trop d’apocalypse dans la pensée et dans la poésie, dans l’histoire et dans la vie… et Luca nous met au défi. Puisque la « frêle transcendance » est une « danse / sans danseurs » (14), ainsi que se répondent la sœur et le frère dans « qui suis-je ? », alors inventons des danses de danseurs. Et « poème ou porte / peu importe »…
Chaise peut-être… Chaise certainement… Oui, les cubomanies et les ontophonies résonnent comme chaises… Chaises pas faites pour s’asseoir mais faites pour apprendre à s’asseoir sans chaises. C’est tout Luca : inventer la chaise qui vous apprend à s’asseoir sans chaise, c’est inventer le poème le plus commun et le plus familier qui soit pour le rêve en action.

AUTO-DÉTERMINATION

la manière de
la manière de ma de maman
la manière de maman de s’asseoir
sa manie de s’asseoir sans moi
sa manie de soie sa manière de oie
oie oie oie le soir
de s’asseoir le soir sans moi
la manie de la manière chez maman
la manie de soi
le soir là
de s’asseoir là
de s’asseoir oui ! de s’asseoir non ! le soir là
là où la manière de s’asseoir chez soi sans moi
s’asseoir à la manière de
à la manière d’une oie en soie
elle est la soie en soi oui ! oui et non !
la manie et la manière de maman de s’asseoir chez soi
sans moi
s’asseoir chez soi chérie ! chez soi et toute seule chérie !
le soir à la manière d’un cheval
s’asseoir à la manière d’un cheval et d’un loup
d’un châle-loup ô chérie !
ô ma chaloupe de soie ! ô ! oui ! s’asseoir non !
s’asseoir le soir et toute seule chez soi ô ! non et non !
manière de s’asseoir sans moi chez soi
sans moi sans chez ô chérie !
c’est une manière chérie !
une manie de
une manie de la manière de
manière de s’asseoir chez soi sans chaise
s’asseoir sans chaise c’est ça !
c’est une manière de s’asseoir sans chaise (Héros-limite, p. 45-46)
Parmi beaucoup d’autres opérateurs, on entend toute la portée critique du « chez soi » qui va jusqu’à inventer un « sans chez », un sans appartenance. C’est pourquoi, la voix n’est même pas celle de Luca. Elle est d’abord celle qui fait l’historicité radicale du poème comme relation, transubjectivité : le poème fait autant ma voix que celle de Luca, s’il me porte il me signe autant qu’il signe Luca. Oui, la portée critique de la voix qui porte de tels poèmes est une éthique de la relation qui met le « chez » dans « chérie » avec la partie de rire que cela peut comporter sans oublier la partie de déchirure. Car il n’y a ni instrumentalisation, ni essentialisation : ni voix expressive, ni voix impossible. La voix dans et par les poèmes de Luca n’exprime rien d’autre qu’une auto-détermination, par quoi elle n’exprime pas, elle invente une subjectivation. Elle rend possible un inconnu : « de nouvelles relations apparaissent », précise Luca et il s’« applique à dévoiler une résonance d’être, inadmissible ». Cette résonance d’être c’est une transubjectivité appropriable, non seulement parce que le mouvement est amoureux mais parce qu’une de ses valeurs pourrait se nommer silanxieuse.
De la même façon, la manière qui organise la spécificité des cubomanies invente une auto-détermination où de la peinture devient un merveilleux trans-sujet qui nous porte dans l’intimité du peindre, dans le tourbillon de ses infimités, dans le glissement incessant de ses suggestions, dans l’inaccompli du peindre qui n’es tpas un inachèvement mais une activité continu qui porte le regard loin de toute assignation iconique ou signiste vers l’infini de l’air de la relation, du récitatif des corps s’inventant dans une érotique toujours relancée.
Aussi les cubomanies par leur manière des plus délicates, peuvent-elles apparaître dans et par le silence plein de langage et de sujet, de relation et d’érotisme que la voix fait entendre dans et par le langage.
Comme le funambule
suspendu à son ombrelle

je m’accroche
à mon propre déséquilibre

Je connais par cœur
ces chemins inconnus
je peux les parcourir
les yeux fermés

Mes mouvements
n’ont pas la grâce axiomatique
du poisson dans l’eau

du vautour et du tigre

ils paraissent désordonnés
comme tout ce qu’on voit
pour la première fois

[L’inventeur de l’amour, p. 8-9]

Ce déséquilibre du funambule, c’est justement ce qu’il faut maintenir et ne pas effacer dans l’écoute de la voix des ontophonies et dans l’écoute de la manière des cubomanies. La réussite profonde c’est peut-être le fait que tout simplement Luca n’est pas réductible à une voix ou à une manière comme à homogénéisation d’un sujet psychologique ou métaphysique hors activité ontophonique et cubomaniaque. Ses « mouvements […] désordonnés » ne sont pas pour autant le discontinu des codes et des façons. Cette voix et cette manière silanxieuses maitiennent l’étrangeté dans la relation : à la fois l’intégrité et l’interpénétration des individuations ! Les poèmes de Luca, ontophonies et cubomanies, comme « remémoration organique[11] ». Ils font les volubilités vivantes certes ténues, fragiles, et toujours au bord de l’infime, de ceux qui n’ont que la parole vive pour vivre. Volubilités et retenues qui, comme le kaddish – j’évoquerais ici celui écrit par Imre Kertész[12]–, font une adresse à ce qui n’a pas de nom, à ce qui ne peut s’identifier, mettant ainsi tout ce qui vit dans l’inaccompli, tout ce qui parle, tout ce qu’on voit, tout ce qu’on fait dans le mouvement d’un commencement à jamais inachevé. Volubilités et retenues qui n’exigent rien, qui ne demandent rien d’autre que l’écoute d’une voix et d’une manière amoureuses silanxieuses : non de ce qu’elles disent mais de ce qu’elles font :
en désespérant
le désespoir et en le maintenant
fiévreusement dans une position pessimiste
illimitée mais perpétuellement voluptueuse devant l’amour (L’Inventeur de l’amour, p. 109)
Elles ouvrent à « un démentiel amour de liberté » (p. 108) pour le « dépassement humain » (p. 111) : « s’asseoir sans chaise » dans et par le langage comme une poétique de la vie libre, de l’amour libre et de l’homme libre. Liberté qui est dans l’inconnu de la relation : son « autodétermination » dans et par un poème plein de volubilité retenue, de retenue volubile.


Bibliographie :
Les références dans le texte ci-dessus renvoient aux livres de Luca présentés dans cette bibliographie.

Ghérasim LUCA
(Bucarest, 1913 - Paris, 1994)

Bibliographie des œuvres en éditions courantes de Ghérasim Luca
établie par Serge Martin
avec le sommaire de chaque ouvrage disponible
Héros-Limite (Le Soleil Noir, 1953 ; José Corti, 1985) suivi de Le Chant de la carpe (Le Soleil Noir, 1973 ; José Corti, 1986) et de Paralipomènes (Le Soleil Noir, 1976 ; José Corti, 1986), Paris, « Poésie », Gallimard, 2001.
Parler apatride, préface d’André Velter
HÉROS –LIMITE

Avant-propos

HÉROS-LIMITE
Héros-Limite [CD]
L’ANTI-TOI
L’anti-Toi
LA VOIE LACTÉE
La Voie lactée
LE PRINCIPE D’INCERTITUDE
Ma Déraison d’Être [CD]
Soupir-à-Trappes
Auto-Détermination [CD]
Autres Secrets du Vide et du Plein
Le Rêve en Action
Hermétiquement Ouverte [CD]
Initiation Spontanée
CONTRE-CRÉATURE
La Morphologie de la Métamorphose
Le Triple
L’Écho du Corps [CD]
AIMÉE À JAMAIS
LE CHANT DE LA CARPE
QUART D’HEURE DE CULTURE MÉTAPHYSIQUE [CD]
LA PAUPIÈRE PHILOSOPHALE
LE VERBE
PASSIONNÉMENT [CD]
À GORGE DÉNOUÉE
PARALIPOMÈNES
Poésie élémentaire
DROIT DE REGARD SUR LES IDÉES
GUILLOTINÉS EN TÊTE À TÊTE
DÉ-MONOLOGUE
Œdipe Sphinx
Le Poète Maudit
Qui voyez-vous ?
Les Cris vains
La Poésie pratique
La Parole
De l’alphabet au bétabet
L’Amant dit cité
D’un geste significatif
Lit ivre
D’audiant à voyant
LA QUESTION [CD]
CRIER TAIRE SOURIRE FOU
APOSTROPH’APOCALYPSE
SISYPHE GÉOMÈTRE
LA FIN DU MONDE
Prendre corps [CD]
Prendre corps [CD]
Son corps léger [CD]

Biographie
Bibliographie
***
Théâtre de bouche (CRIAPL’E, 1984 avec une pointe sèche  et neuf dessins de Micheline Catty (sic) ainsi qu’un enregistrement intégral par l’auteur), Paris, José Corti, 1987 .
AXIOME : L’HOMME
QUI SUIS-JE ?
LA CONTRE-CRÉATURE
L’ÉVIDENCE
LE MEURTRE
LES IDÉES
LA DISCORDE
LES VAINCUS
LA DURÉE
***

La proie s’ombre, Paris, José Corti, 1991 [Deuxième édition : 1998].

À l’orée d’un bois…
Le Tourbillon qui repose [CD]
Entre ta chaussure…
Dans tes chaussures…
Ton pied absent entre…
Vers le non-mental [CD]
Madeleine
Zéro coup de feu [CD]
gREVE GENERALe
La Forêt [CD]
La Clef [CD]
Le Nerf de bœuf
Crimes sans initiale…
***
L’inventeur de l’amour suivi de La Mort morte [et d’un Appendice], Paris, José Corti, 1994 [première publication en roumain à Bucarest en 1945].
***
La voici la voie silanxieuse, Paris, José Corti, 1997 [édition posthume d’un album de 1962].
***
Un loup à travers une loupe, Paris, José Corti, 1998 [édition mise au point par Micheline Catti, Nadèjda et Philippe Garrel de textes écrits en 1942 et publiés en roumain à Bucarest, traduits par Ghérasim Luca lui-même]
LES CERNES DU FLEURET
UN LOUP À TRAVERS UNE LOUPE
LES VOLCANS INTÉRIEURS DES PLANTES
MINÉRAL, Ô STATUE DU DÉSIR !
CE CHÂTEAU PRESSENTI
L'ÉCHO PEINT EN ROUGE
JE T'AIME
LE DÉCOLLETÉ DU SANG ET DE LA MÉMOIRE
LE CAFÉ EN CAOUTCHOUC
QUELQUES MACHINES AGRICOLES
LE LENDEMAIN
LE DÉSIR DÉSIRÉ
L'OBJET VOLÉ
***
Le vampire passif. Avec une introduction sur l’objet objectivement offert, un portrait trouvé et dis-sept illustrations, Paris, José Corti, 2001 [Premier texte écrit directement en français par Ghérasim Luca en Roumaine en 1941 ; publié clandestinement aux éditions de l’Oubli en 1945 à Bucarest. Revu et mis au point par Nadèjda et Philippe Garrel]
***
Ghérasim Luca par Ghérasim Luca (Double CD audio), José Corti, 2001 [comporte les pièces indiquées CD ci-dessus et
« Le Tangage de ma langue » ;
« Vers la pure nullité » ;
« L’Autre Mister Smith (d’après Catherine Moore) »].
***
Levée d’écrou, Paris, José Corti, 2003 [texte revu et mis au point par Nadèjda et Philippe Garrel avec facs-similés (« 23 lettres à un inconnu ») des manuscrits déposés au Fonds littéraire Jacques Doucet ; texte écrit en 1954].
***
COMMENT S’EN CORTIR SANS SORTIR (UN RÉCITTAL TÉLÉVISUEL RÉALISÉ PAR RAOUL SANGLA, 1988, 56 mn.). avec le soutien du CNC, DVD Vidéo, José Corti, 2008 [comprend un livret avec les textes du récital : « Ma déraison d’être », « Auto-détermination », « Le tangage de ma langue », « Héros-limite », « quart d’heure de culture métaphysique », « Le verbe », « Prendre corps », « Passionnément »].
***
Sept slogans ontophoniques, Paris, José Corti, 2008.
ENTRÉE LIBRE
EAU AIR FRAIS
PORTE DONNANT SUR LA VOIE
LA LIMONADE
LA CARTE
RÉALITÉ
SÉMAPHORISMES
HORS DE SOI AU RÉVEIL…
SI L’INDICE…
SUR MA TABLE…
PAROXYSME EN HAUT…
NI FILS NI VEUVE…
INCRÉONS !
NYMPHAUNE LICORMENTALE
L’AIMANT SONGE…
BARRANT D’UN TRAIT…
DÉFÉRÉS DEVANT UN TRIBUNAL…

Ouvrages sur Ghérasim Luca


Dominique Carlat, Ghérasim Luca l’intempestif, Corti, 1998 (402 p.)
André Velter, Ghérasim Luca « passio passionnément », Jean-Michel Place, 2001 (114 p.).
Petre Raileanu, Ghérasim Luca, « Les étrangers de Paris. Les Roumains de Paris », Oxus 2004 (190 p.).
Martin Serge (dir.) : Avec Ghérasim Luca passionnément, éditions Tarabuste (supplément à la revue Triages), 2005 (140 p.). [Reprend les actes de la journée d'étude Ghérasim Luca à gorge dénouée organisée à l'Université de Cergy-Pontoise le 10 décembre 2004. Comprend les communications de Serge Martin, Laurent Mourey, Daniel Delas, Julian Toma, Zeno Bianu, Elke de Rijcke, Nicoletta Manucu, Patrick Quillier, Cendrine Varet, Oriane Barbey, Philippe Païni, Marie Cosnefroy-Dollé, Patrick Fontana et une bibliographie exhaustive réalisée par Cendrine Varet et Serge Martin].
Cahiers de l’Abbaye Sainte-Croix, n° 110 (« Ghérasim Luca »), Les Sables-d’Olonnes, Marseille, Saint-Yriex-la-Perche, 2008-2009 [outre le catalogue de l’exposition des cubomanies, comprend des textes de Nicoleta Manuca, Charles Soubeyran, Thierry Garrel, Aurélia Gibus, Benoît Decron].
Un dossier est à paraître dans la revue Résonance générale n° 4, hiver 2008 (L’atelier du grand Tétras, 25 Mont-de-Laval).



Publications de Serge Martin sur Ghérasim Luca


(avec Marie-Claire Martin) Les poésies, l'école, préface de Bernard Noël, Grand Prix national de poésie 1994, coll. « L’éducateur », Paris : Presses Universitaires de France, 1997, p. 199-200.
« Ghérasim Luca inconnu... pour toujours encore » dans La Polygraphe n° 33-35, Chambéry : Comp’act, 2004
(avec N. Manucu) « Ghérasim Luca : la force amoureuse dans le langage (inédits de la Bibliothèque littéraire Doucet) » dans Triages n° 15, Saint-Benoît-du-Sault : éditions Tarabuste, 2005.
(avec N. Manucu) « Ghérasim Luca : la force amoureuse des poèmes contre la violence des instrumentalismes langagiers » dans C. Chaulet-Achour (dir.), États et effets de la violence, Université de Cergy-Pontoise, Centre de recherche Textes et Histoire/Encrage, juin 2005, p. 261-293.
« Une écriture forte de français » et « La voix silanxieuse amoureuse de G. Luca » dans S. Martin (dir.), Avec Ghérasim Luca passionnément, Saint-Benoît-du-Sault, éditions Tarabuste, 2006, p. 41-46.
Langage et relation. Poétique de l’amour, coll. « Anthropologie du monde occidental », Paris : L’Harmattan, 2006, p. 80-91 (analyse de « Passionnément »).
« La relation contre la religion. Avec Paul Celan, Ghérasim Luca et Henri Meschonnic. Pour un humanisme radicalement historique » dans Faire part n° 22/23 (« Le poème Meschonnic »), mai 2008, p. 174-192.
Recension de : Ghérasim Luca, Sept Slogans ontophoniques, José Corti, 80 p., 2008 ; Comment s’en sortir sans sortir, Un récital télévisuel réalisé par Raoul Sangla, Coproduction La Sept/FR3 Océaniques/CDN 1988, 56 mn., DVD, José Corti et Héros-Limite, 2008. Recension dans Europe n° 952-953, août-septembre 2008, p. 358-359.




[1] Pour être précis, il faut situer ce « slogan ontophonique » (voir la recension de Sept Slogans ontophoniques, José Corti, 2008, parue dans Europe n° 952-953, août-septembre 2008, p. 358-359) dans « gREVE / GENERALe / sans fin / ni commencement » avant la révolution / sans personne // L’AMOUR // sans fin » (La Proie s’ombre, 45-55).
[2] « C’est les œuvres qui sont maternelles, pas les langues », comme dit Henri Meschonnic dans Dans le Bois de la langue, Laurence Teper, 2008, p. 269 (voir aussi p. 310 et suivantes).
[3] Dans une notice biographique datant des années soixante, pour les éditions Brunidor, Gherasim Luca se présente dans ces termes : « originaire de Bucarest, il se choisit durant son adolescence un nom et un égarement » (voir D. Carlat, Gherasim Luca l’intempestif, Paris, José Corti, « Les Essais », 1998, p. 19).
[4] Je renvoie à Langage et relation, L’Harmattan, 2005.
[5] C’est ce que semble proposer Benoît Decron (« Cubomanies ») dans le catalogue qu’il a réalisé pour l’exposition des Sables d’Olonnesdu début 2008 : Cahiers de l’Abbaye Sainte-Croix, n° 110 (« Ghérasim Luca »), Les Sables-d’Olonnes, Marseille, Saint-Yriex-la-Perche, 2008-2009 [outre le catalogue de l’exposition des cubomanies, comprend des textes de Nicoleta Manuca, Charles Soubeyran, Thierry Garrel, Aurélia Gibus, Benoît Decron], p. 35-38.
[6] G. Luca, « Présentation des graphies coloriées, de cubomanies et d’objets, janvier 1945 », cité par B. Decron, op. cit., p. 35.
[7] « La cubomanie est une vraie fossilisation de notre époque », voir note précédente.
[8] G. Braque dans un entretien avec Georges Charbonnier, L’Express, 2 juillet 1959.
[9] C. Péguy écrivait : « Sonorité générale. – Quel que soit le commandement de la rime sur le vers, quel que soit le gouvernement de la force et de l’ordre et de la nature du rythme, ce commandement et ce gouvernement ne sont eux-mêmes que des éléments, des composantes élémentaires, évidemment importantes, peut-être capitales, mais nullement épuisantes, et il s’en faut, de ce qu’on peut nommer la sonorité générale de toute œuvre, non seulement de tout poème et de toute prose, de tout texte, mais aussi bien de toute œuvre plastique, de toute œuvre contée, dessinée, peinte, de toute œuvre statuaire, enfin généralement de toute œuvre. Ce n’est pas la rime seulement et le commandement de la rime, ce n’est pas le rythme seulement et le gouvernement du rythme, c’est tout qui concourt à l’opération de l’œuvre, toute syllabe, tout atome, et le mouvement surtout, et une sorte de sonorité générale, et ce qu’il y a entre les syllabes, et ce qu’il y a entre les atomes, et ce qu’il y a dans le mouvement même. C’est cette sonorité générale qui fait la réussite profonde d’une œuvre. » dans « Clio, Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne » dans Œuvres en prose, 1909-1914, La Pléiade, Gallimard, 1961, p. 145.
[10] J. Derrida, La Vérité en peinture, Champs Flammarion, 1978.
[11] C. Péguy qui oppose cette « remémoration organique » à « un retracé historique » dans « Clio, Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne » dans Œuvres en prose, 1909-1914, La Pléiade, Gallimard, 1961, p. 286.
[12] I. Kertész, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas (Budapest, 1990), Arles, Actes Sud, 1995.