dimanche 5 octobre 2008

Hélène Berr: dans sa voix


« Qui dira jamais ce qu’a été la souffrance de chacun ? » écrit Hélène Berr dans son journal le mardi 15 février 1944. Et elle répond ce que tout le monde depuis lors aurait dû répondre : « Le seul "reportage" véridique, et digne d’être écrit, serait celui qui réunirait les récits complets de chaque individu déporté. (p. 278)

Et j’entends qu’on dit qu’il s’agirait d’une jeune fille « privilégiée » qui, « certes » ( !), n’a pas échappé à l’extermination « mais enfin »… sans parler de ceux qui pensent tout haut ou tout bas que cela fait « encore un témoignage » ! Réponse à la même page avec une référence à Tolstoï, qui met ce journal et donc cette expérience de penser-écrire-vivre à une hauteur qui forcément va gêner beaucoup ceux qui rechignent à dire non pas « jamais plus » mais « jamais assez » (oui ! nous ne savons pas assez même si nous savons beaucoup !) : 

« Car il n’y a pas que l’inégalité sociale, il y a aussi une inégalité de souffrance (qui correspond quelquefois, surtout en temps de paix avec la première) ». 

Il faudrait souligner cette parenthèse qui montre combien le politique et l’éthique se tiennent. Et on est confondu de tenir ce journal par ses derniers mots (« Horror ! Horror ! Horror ! ») écrits dans cette langue qu’Hélène Berr lisait et écrivait dans et par l’amour de l’étude – elle avait commencé une thèse sur Keats qu’elle cite : « Bright Star ! » (p. 241). C’est elle ! et tout son journal est haut comme une telle étoile ; haut et en plein cœur d’une pensée de ce qui est toujours aussi difficile à penser. Mais avec Hélène Berr, nous tenons cette activité de penser au plus près de ce qui fait la force du vivant, du plus vivant alors même que tout l’interdit. 

Nous sommes dans ses pas si nous écoutons son écriture de vivre : « J’ai marché aujourd’hui, marché toute la journée » (p. 200). 

Nous sommes dans son amour si nous entendons son écriture de vivre : « J’appelle Jean de tout mon cœur. C’est avec lui que j’ai appris à connaître les quatuors, entendre avec lui » (p. 207). Ce journal est le poème d'un savoir par un non-savoir. C'est la force de ce témoignage. Ce journal n'est pas un témoignage de plus, il témoigne d'une force de vie qu'on ne peut connaître qu'en perdant toute certitude, qu'en abandonnant toute maîtrise : « Toute la journée aussi, j’ai essayé de lire la lettre de J. M. comme dans un rêve où la lettre qu’on lit vous échappe toujours. Je ne l’ai pas encore assimilée » (p. 149). Alors sa voix nous fait vivre « l’humaine condition » en devenant plus humain. Et cela passe par cette décision qu'il nous faut continuer dans et par le poème du vivre-écrire: "Je note les faits, hâtivement, pour ne pas les oublier, parce qu'il ne faut pas les oublier" (p. 106).

Hélène Berr, Journal, Tallandier, 2008.

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