jeudi 2 juillet 2009

la Poésie à l'école... avec les poèmes , 4


Deuxième problème

Poèmes faciles et difficiles

 

Lire un poème, c’est bien arriver à reconnaître qu’un poème est un poème, et comment, ce qui ne va pas de soi.

Henri Meschonnic (2006, p. 22).

 

Les poèmes ne peuvent être lus en dehors des habitudes culturelles et parmi elles des habitudes scolaires. Lesquelles leur font un sort étrange : soit il n’y aurait rien à comprendre avec les poèmes puisqu’ils seraient une pure musique ou qu’ils offriraient des images instantanées, soit il faudrait avant d’y accéder de longues et savantes explications quand il ne faudrait pas de longues études… Bref, les poèmes seraient soit trop faciles, soit trop difficiles : réservés tantôt aux élèves en difficulté comme remède miracle à leur dégoût de la lecture par exemple et l’on verrait plus de poésie dans les ZEP que dans les écoles  dites ordinaires ; réservés tantôt aux excellents élèves qui sont versés dans la littérature et ont un bagage culturel solide et il ne devrait plus y avoir de poésie que dans les classes préparatoires aux grandes écoles littéraires… On peut reprendre ce schéma de l’acculturation poétique autrement : il y aurait la poésie facile pour tous et la poésie difficile pour quelques-uns. Mais ce schéma tient-il une seconde quand on observe ce qui se fait et ce que les élèves font avec les poèmes ? Avant de répondre, rappelons une anecdote intéressante concernant notre fabuliste national : Jean de la Fontaine dont le succès dès l’école primaire ne se dément pas depuis bientôt deux siècles alors même que les savants et les prescripteurs ont toujours juré leurs grands dieux qu’il ne fallait pas l’enseigner aux enfants parce qu’ils n’y comprenaient rien… Si bien des enfants ne comprennent pas la morale de la fable « Le Loup et le Chien » (cinquième du Livre I), du moins s’ils semblent qu’ils se méprennent souvent préférant à la faim l’embonpoint et ne voyant pas que l’enjeu est la liberté d’aller et venir si ce n’est la liberté tout court, ils comprennent tous que le Loup a le dernier mot et surtout qu’il « court encor » ainsi que toute la fable qui court dans ses détails comme dans son ensemble. On peut parier que les enfants rêvent en disant ce vers : « Chemin faisant il vit le col du Chien pelé » car, non seulement, « Chien pelé » les arrêtera autant que le fameux « arbre perché » que Jean-Jacques Rousseau pointait dans « Le Corbeau et le Renard » (Rousseau, 1966, p. 140 et suivantes), mais de « Chemin » à « Chien » il referont le mouvement qui passe au-dessus de la césure 6/6 : « Chemin faisant il vit / le col du Chien pelé ». Mouvement de la surprise de la vue : croisement dans la réflexion autant qu’arrêt dans le compagnonnage.

Ce caractère facile ou difficile des textes dits poétiques est une représentation que la lecture construit et, quand la lecture n’est plus invention, qu’arrive-t-il ? Elle se soumet aux définitions qui la figent avant qu’elle ne commence ou dès qu’elle s’oublie ou bute sur une difficulté. Car, comme pour tout texte, la facilité ou la difficulté d’un poème est la résultante de sa lecture, de la lecture qu’on engage avec lui. C’est la lecture qui va alors produire facilités et/ou difficultés et il serait plus intéressant d’habituer les élèves à poser cette caractéristique à l’issue voire en cours de lecture plutôt qu’à son orée pour deux bonnes raisons qu’on formulera ici comme deux préceptes à ne jamais oublier :

Ne jamais arrêter une lecture d’un texte prétendument difficile : qu’il s’agisse de son vocabulaire ou de sa syntaxe, de sa composition ou de ses évocations rapidement jugées difficiles, on s’empêcherait alors de le lire, de laisser faire sa lecture qui n’a pas forcément à se soumettre à un régime de compréhension pas plus qu’à une manière d’interprétation ;

et aussi bien ne jamais raccourcir, bâcler ou même éluder la lecture d’un texte prétendument facile : prétextant tout aussi fallacieusement de sa pseudo-transparence concernant son sens ou sa composition voire ses intentions, on empêcherait alors d’apercevoir l’infini de sa lecture et des lectures.

Il suffit d’un exemple pour suggérer qu’en tout poème le facile et le difficile sont des productions de la lecture qui se soumet ou, au contraire, refuse de se soumettre aux codes culturels (de compréhension-interprétation) de l’époque.

Au bois, il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.

Il y a une horloge qui ne sonne pas.

Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.

Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.

Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannée ;

Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisière du bois.

Il y a enfin, quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse.

 

Cette troisième séquence d’« Enfance » d’Arthur Rimbaud (1980, p. 111) est facile et difficile ! N’importe quel lecteur considère d’abord ce texte comme une liste cumulative que le présentatif « il y a » lance sept fois. D’aucuns arrêteraient même ce texte à un schéma syntaxique facilement imitable : « Il y a X, Y…Z » en ajoutant même une détermination indéfinie puisque se déclinent : « un oiseau, une horloge, une fondrière, une petite voiture, une troupe de petits comédiens… » mais déjà apparaissent d’infimes variantes et surtout une attaque et une chute. La liste, si elle est accumulation, addition, est surtout récitation : « Au bois, il y a […] enfin […] quelqu’un qui vous chasse ». La liste prend vie par ce récitatif qui met l’espace dans la durée, plus précisément dans la subjectivité d’une expérience qui est autant celle de la diction que celle de la description-narration. Diction parce que l’énonciation est marquée à l’entrée et à la sortie par le vocatif (« vous ») qui pénètre tout le texte grâce à la porosité des séries sémantiques ou prosodiques qu’il faut reconstruire par la fin – du moins lire en remontant-descendant comme il est écrit à la ligne centrale (« qui descend » et « qui monte ») :

- on passerait ainsi des /q/ de la dernière ligne aux /p/,/b/ et /q/ de la pénultième et aux /b/ et /q/ de l’antépénultième pour revenir aux 4 /q/ de la quatrième ligne puis les deux /b/ de la troisième  avant l’alternance /p/ et /q/ pour finir et donc commencer par le /b/ du « au bois » qu’on pourrait écrire « ô bois » !

- on passerait parallèlement de la chasse finale au chant initial de l’oiseau en remontant par la lisière, le taillis, la fondrière et le bois, ou encore par les costumes, les rubans, la cathédrale, la sonnerie silencieuse certes puis le chant ; mais descendons du rouge au blanc, du sentier à la route, de la faim à la soif…

Ce parcours à la fois sauvage et savant ne cherche qu’à montrer les infinies relations qui font la lecture à la fois facile et difficile de ce texte mais qui font surtout son rythme augmentatif après un arrêt, une mise en mouvement, une course, une traversée du regard et enfin une rencontre qui est une séparation. Rendre ce texte facile serait le réduire à une addition de détails qui viendraient servir un sens unique, un récit orienté vers sa fin seulement quand il est parcouru dans tous les sens de mouvements ininterrompus qui mettent tous le sens en éveil : l’ouïe, la vue mais aussi la faim, la soif… et au-delà tous les affects. Rendre ce texte difficile serait également empêcher de le laisser agir aussi facilement qu’il peut le faire avec tout un chacun un peu comme une berceuse féerique. Bref, on voit par là que le point de vue sur le caractère facile ou difficile d’un texte, et en l’occurrence d’un poème, mérite plutôt de se laisser porter par la force du texte : la lecture alors gagnant en liberté est portée par le texte plus qu’elle ne le porte. Les poèmes ne sont ni faciles ni difficiles par nature mais toujours nous disent ce qu’est pour nous le facile et le difficile. Par quoi, il faudrait avec les élèves confronter des lectures à ce propos : entre élèves, entre une première et une deuxième lecture, entre une lecture fragmentaire et une lecture d’ensemble, etc. Autant de pistes qui vont alors déplacer le problème et même le rendre très profitable à n’importe quel lecteur qui se verra alors voyager de la plus grande familiarité à la plus forte étrangèreté, du proche au lointain et inversement : chez lui et toujours ailleurs, l’hôte dans les deux sens du terme.

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