mardi 31 mars 2009

Réécrire hors de toute représentation (avec Henri Meschonnic et Claude Régy)


(Marcial Di Fonzo Bo dans Paroles du sage, mise en scène de Claude Régy)

Le texte ci-dessous a été communiqué aux participants des journées d'étude interdisciplinaires organisées par le LASLAR sur le thème "Qu'est-ce qu'une réécriture?" à la MRSH de l'Université de Caen les 27 et 28 mars 2009. Merci aux organisateurs, Franck Bauer et Vincent Amiel ainsi qu'à tous les participants.

Il s’agit d’approcher, non d’atteindre » Claude Régy (EP, 115)

La poétique est le feu de joie qu’on fait avec la langue de bois. Le travail de la théorie est de veiller, y compris pour la poétique, à ne pas faire de bois » Henri Meschonnic (PDT, 22)

1. Traduire, mettre en scène : un rapport actif

Réécriture et traduction sembleraient ne pas faire bon ménage. Pour au moins deux raisons : tout d’abord les deux termes ne seraient pas fixées au point de pouvoir ajuster leur rapport[1], ensuite, « à l’exception de cas particuliers – et d’autant moins nombreux – tels que, peut-être, l’autotraduction ou les traductions réalisées par des poètes et des écrivains reconnus », les traductions seraient autant de « production(s) textuelle(s) effectuée(s) sous la contrainte d’un texte original par rapport auquel elle(s) doi(vent) nécessairement se situer » et donc dépendre quant à leur « littérarité ». Aussi, Christine Lombez conclut-elle sa tentative d’articulation des deux notions par un souhait :

Il faudrait donc poursuivre l’analyse et s’interroger également sur ce qui constitue la littérarité d’un texte en traduction, autrement dit ce qui est susceptible de le faire reconnaître comme écriture. Un vaste sujet qui mérite réflexion.

Ce « vaste sujet » semble effectivement l’impensé de tout ce qui précède à condition qu’on sorte également des deux écueils, « la poétisation » et « la récriture » que Henri Meschonnic signalait il y a déjà fort longtemps et dont le dernier est évoqué par Lombez sans apercevoir qu’il s’agit justement d’une « matérialisation du dualisme » équivalent au premier écueil puisqu’il se soumet à une idéologie linguistique, au culturel qui justement participe d’une « désécriture », telle que Jean-Louis Cordonnier la décrivait[2] :

On redistribue les phrases et les paragraphes. On rationalise ce qui heurte trop la raison française. On clarifie. On détruit les réseaux signifants. On désydtématise. On efface les connotations culturelles que le lecteur français ne « comprendrait pas, ou qui risqueraient de le choquer ». (…) En un mot donc : on désécrit.

Mais de là à poser, comme le suggère Lombez, que « toute réécriture, quelle qu’elle soit » serait « désécriture[3] », il y a un cliché qu’on ne peut admettre. Comme le cliché inverse, que toute traduction est écriture[4] car il y a bien traduire-écrire et traduire-désécrire tout comme il y a certainement des réécritures qui ne sont pas des écritures…Aussi, faut-il dire que pour la théorie de la réécriture, la théorie de la traduction est-elle décisive comme révélateur. Mais elle l’est exactement comme l’est tout ce qui participe ou pas à une pensée du passage exactement au sens que propose Claude Régy[5], quand il évoque Madeleine Renaud dans L’Amante anglaise, en 1968, à Gémier, prononçant « Je serais allée à l’hôtel Crystal » – faisant l’hypothèse d’un retour à Cahors, le lieu natal de son personnage, et qu’il écrit :

C’est la banalité. Et pourtant, la fraîcheur de la voix, la simplicité du ton, l’écho ouvert, la résonance de l’air, nous entrons soudain dans un hôtel modeste – solitude, amours sublimes, pauvres rencontres – mais par ce couloir, nous entrons dans l’apesanteur, le château de verre, résidence des âmes, la vastitude. La phrase est dite, s’est créée. Bien sûr c’était déjà précisément dans les mots écrits, mais nous entendons la phrase. Il nous semble que nous l’avons toujours entendue avec cette évidence, et pourtant, la sensation survient de l’entendre en nous pour la première fois, comme l’écrivain l’a entendue avant de l’écrire.

(…)

Ce qui importe, c’est ce passage, il ne faudrait jamais rien voir sur un théâtre que ça : l’invisible mouvement de ce passage mais sans cesse perpétué. (EP, 16-17)

L’hypothèse est donc la suivante : traduire, mettre en scène comme réécriture et donc comme écriture continuée c’est ce passage d’une écoute qui ne s’arrête pas, écoute d’une voix dans et par son continu, réénonciation qui n’en finit pas.

2. Deleuze et la « dramatisation »

C’est ainsi que je voudrais vous proposer le cheminement suivant : comment Paroles du Sage continue l’écriture dans la traduction comme dans le théâtre, avec Henri Meschonnic et Claude Régy parce que l’une avec l’autre, ces expériences continuent ce qu’on peut appeler une écriture qui n’en finit pas de nous écrire, de s’écrire, de faire poème[6]. Autrement dit et en reprenant les suggestions de Gilles Deleuze, ces Paroles du Sage « hors de la représentation » réaliseraient « l’univocité comme répétition dans l’éternel retour » (DR,388) dans une analytique plus intempestive qu’empiriste, du moins d’un empirisme poussé à bout (DR, 3), où « différence pure et répétition complexe » semblent « en toutes occasions se réunir et se confondre » (DR, 2)[7]. Mais, précise Deleuze, en vue de cette irréductibilité « à des genres ou à des catégories » (traduction, théâtre), il a fallu que les attributs « n’introduisent aucune division dans la substance qui s’exprime ou se dit à travers eux en un seul et même sens » (DR, 387), et que les modes se « rapportent immédiatement à l’être univoque » (DR, 388). Toutefois, cette « univocité de l’être » comme « seule Ontologie réalisée » (DR, 387) même défaite de toute « profondeur du même censé recueillir le différent », ainsi que Heidegger l’envisageait (DR, 384), reste prise chez Deleuze dans une ontologisation quand il s’agit d’une activité, d’une historicité toujours en cours. Toutefois Deleuze parle de « dramatisation », ce qui semble orienter l’écoute vers l’activité :

Le monde entier est un œuf. […] Ce sont les processus dynamiques qui déterminent l’actualisation de l’Idée ; Mais dans quel rapport sont-ils avec elle ? Ils sont exactement des drames, ils dramatisent l’Idée. D’une part, ils créent, ils tracent un espace correspondant aux rapports différentiels et aux singularités à actualiser. [ …] Le monde est un œuf, mais l’œuf est lui-même un théâtre : théâtre de mise en scène, où les rôles l’emportent sur les acteurs, les espaces sur les rôles, les Idées sur les espaces. […] Tout est encore plus compliqué […]. Partout une mise en scène à plusieurs niveaux.

D’autre part, les dynamismes ne sont pas moins temporels que spatiaux. […]. Mais la distinction est forcément relative ; il est évident que le dynamisme est simultanément temporel et spatial, spatio-temporel. […] Bref, la dramatisation, c’est la différenciation de la différenciation, à la fois qualitative et quantitative (DR, 279-283).

Malheureusement dans les développements qui suivent, Deleuze va dissocier les « rapports » et les « compositions », quantité et qualité, dialectique et esthétique : « La spécification incarne les rapports, comme la composition, les singularités » (DR, 285). Certes, il voit dans la « dramatisation » un potentiel antérieur à ce dualisme. Nous faut-il alors laisser l’écriture dans cette force potentielle primitive, dans un hors langage sans « rapports » et sans « compositions » vraiment actualisés ? Pure intensité ? Parce que « impliquante et impliquée », comme dit Deleuze (DR, 305). De ce point de vue, il faudrait continuer à suivre Deleuze car l’inaccompli de ce qui fait écriture n’est pas celui de « l’antinomie de la représentation » (DR, 339). Rien d’étonnant à ce que Deleuze fasse appel à Jean-Pierre Faye[8] pour ouvrir alors la répétition à un « sens distributif » (DR, 349) que néanmoins il aperçoit comme assurant « la distribution et le déplacement des termes, le transport de l’élément, mais seulement dans la représentation pour un spectateur encore extrinsèque » (ibid.). Deleuze propose alors de penser une fondation comme détermination de l’indéterminé, représentation infinie : « La répétition est la puissance du langage ; et loin de s’expliquer de manière négative, par un défaut des concepts nominaux, elle implique une Idée de la poésie toujours excessive » (DR, 373). Solution à la fois heuristique et aporétique : une véritable théorie du rythme est inaugurée dans certains passages (DR, 375 en particulier) et Deleuze montre les continuités des rythmes, n’oppose pas l’art et la vie quotidienne, lance une dynamique relationnelle (diaphora) du côté du multiple et du devenir sortant ainsi de la représentation afin d’instituer la force du rapport entre spécificité et unicité (DR, 388-389) ; mais le nietzschéisme de Deleuze ne voit pas qu’il tient encore le langage dans les catégories traditionnelles, « le mot = x dans le langage » (DR, 382), ce qui immanquablement met les arts du langage dans l’esthétique. D’où, malgré sa prise en considération du continu spinoziste (DR, 387) reversé dans l’ontologie, un maintien des termes, dans la recherche avec laquelle nous entrons en affinité continûment mais qu’on est bien obligé d’abandonner, puisqu’il y a « l’essence de la répétition » et « l’idée de la différence » (DR, 41, je souligne). Charles Péguy que Deleuze qualifie de « grand répétiteur de la littérature » (DR, 34) avait coupé le fil qui lie le rythme à la symétrie (DR, 32) en cherchant la « sonorité générale[9] ».

En cela alors, « le déplacement et le déguisement de ce qui se répète ne font que reproduire la divergence et le décentrement du différent, dans un seul mouvement qui est la diaphora comme transport. L’éternel retour affirme la dissemblance et le dispars, le hasard, le multiple et le devenir ». Cette élimination du « Même » et du « Semblable », de « l’Analogue » et du « Négatif », « comme présupposés de la représentation », cette construction de la « différence de différence » (DR, 383) constitueraient alors, semble-t-il, ce qui fait le continu de l’écrire, un écrire toujours inaccompli, en inaccomplissement. Il faudrait alors plus que d’un transport parler toujours d’un rapport entre ce qui diffère toujours dans la répétition même : la différence ne constituant pas seulement un déplacement qui réduirait trop vite la répétition au répété mais un rapport de la répétition à la répétition, une différence toujours relationnelle, ce que j’aime appeler une relation de la relation[10]. Par là, l’enjeu d’une théorie de la réécriture c’est, par la théorie de la traduction comme par celle du faire théâtral, de déplacer le fait que « ce qui se répète, c’est la répétition même » (DR, 377), que la différence n’est plus entre une première fois et les autres, entre le répété et la répétition mais bien entre ce qui achève et ce qui continue, entre ce qui représente et ce qui excède, entre ce qui borne et ce qui déborde, entre le connu et l’inconnu, la maîtrise et l’impossible, l’énigme toujours vive.

3. « La force du continu[11] »

J’essaie donc maintenant la lecture comme continu de l’écriture, de l’écriture continuée dans des histoires plus que différentes mais dans l’exigence toujours maintenue du continu comme écoute de ce qui fait un « ressassement » vers une lucidité plus qu’une vérité, vers du concret et non de l’abstrait, vers du corps et non de l’idée. Plus encore vers un rythme où syntaxe et prosodie font relation contre tout ce qui fait adaptation. Contre tout ce qui empêche que l’écriture soit toujours l’aventure d’une création. Alors la réécriture fait une écriture ou ne fait plus qu’une désécriture.

« Paroles » (1-1), qui fait l’incipit de Paroles du Sage, pose et surtout engage une oralité de l’écriture plus qu’un genre discursif apologétique voire prophétique : « une voix » plus qu’un prêche voire un savoir d’expérience que la traduction par « propos[12] » engage forcément. Une voix qui parle ! pas une déclamation. Comme écrit Régy :

Quand je dis que la voix, je ne sais pas ce que c’est, c’est vrai : la voix, c’est un son ? Une vibration dans l’air qui fait que les voix ont chacune leur caractère ? La vibration transmet énormément de l’être, et les voix que je peux utiliser au théâtre sont des voix qui mettent en relation avec le monde intérieur. Quand on parlait de belles voix de théâtre, on parlait d’une émission de texte qui était d’ordre déclamatoire. (OM, 45)

Arnaud Rykner souligne comment « au fil des mises en scène » - significativement il cite « les trois pièces de Nathalie Sarraute[13] » – « Régy explorera plus avant cette primauté de la diction sur l’action et la fiction[14] ». Mais plus que de diction qu’on pourrait confondre ou rapporter à une oralisation, c’est d’oralité qu’il est question. Et Rykner d’ailleurs signale que « l’acteur n’est plus censé ‘habiter’ l’espace théâtral avec son corps » mais « qu’il est condamné à se laisser traverser par une parole qui fait résonner son propre ego sans que ce même ego prétende être à l’origine de la parole[15] ».

Dans la traduction de Meschonnic c’est ce corps résonnant, c’est « du corps qui bouge[16] », qui rend au texte une oralité pleine : « Paroles de la bouche d’un sage » (10-12, PS, 174) n’est pas « ce que dit la bouche des sages » et, ailleurs, « Le début des paroles de sa bouche » (10-13) fait tout autre chose que « le début de ses propos ». Ce sont bien des paroles qui traversent, qui passent comme un corps se déplaçant. De ce point de vue, il est étonnant d’y voir un quelconque « texte archaïque » dont Régy montrerait « ce qui ‘d’une écriture n’est pas à lire’[17] » quand c’est, me semble-t-il, tout le contraire : ce qui d’une écriture est à lire et qu’on n’est pas habitué à lire… ou mieux encore, ce qui continue de s’écrire et qui nous oblige à l’accompagner, ce qui en français a enfin commencé à s’écrire. Car si effectivement Régy précise qu’il s’est « demandé ce que la parole était avant que la parole existe » (OM, 49), c’est plus pour penser et vivre le continu corps-langage qu’une quelconque antériorité ontologique voire historiographique, comme Régy décrit le travail de l’acteur :

Cette idée a provoqué chez Marcial une émotion très forte. Évidemment les larmes modifient la vibration de la voix, et, comme ce travail était dur, Marcial était couvert de sueur. Tout coulait, morve, larmes, sueur. Et donc, comment dire que le corps n’est pas impliqué dans la délivrance de la parole. Larmes, sueur, sécrétions, font partie de la parole 

Mais j’aime, quand narrant ce que lui fait Marcial Di Fonzo Bo venant lentement à la lumière et à la voix, Sabine Quiriconi écrit que :

La bouche se modèle au gré du texte. Elle reste ouverte entre les groupes sonores. Les mouvements des bras sont lents, eux aussi, constants et répétitifs, si l’on ne prenait garde, au fil du temps, à la façon dont ils accompagnent imperceptiblement les transformations de cette longue phrase qu’est le texte, étrangement suspendue, jamais interrompue[18].

Cette phrase ininterrompue n’a rien d’une prouesse syntaxique voire spectaculaire même si le corps de l’acteur tout comme la syntaxe en sont totalement bouleversés. L’ininterrompue et l’étrange suspension sont très précisément ce que Régy appelle « la fusion de la parole et du corps » (OM, 48) rendue « visible » : « La parole est du corps ». Et l’inverse, le corps est de la parole, faudrait-il ajouter. Avec ce paradoxe tenue jusqu’au bout : « l’immobilité n’est pas absence de mouvement » puisque, en l’occurrence, Marcial Di Fonzo Bo est ainsi décrit par le metteur en scène :

Son corps irradiait. Son visage, à force de fixité, produisait des hallucinations. Je le voyais vieillard, enfant, garçon demeuré, je voyais quelqu’un de brûlé, de blanchi dans un excès de lumière. La lumière était fixe. On croyait qu’elle bougeait. Donc, la vision se transforme  dans l’imaginaire. Dans ce visage tout le temps mobile, il y a le mouvement de la bouche, et la délivrance de la parole qui, en effet, traverse le corps. (OM, 48-49).

C’est que s’opère alors un vrai retournement : une œuvre n’a force que par son inaccompli, par son incréé, par « ce qui encore n’a pas été » (4-3, PS, 149, cité dans OM, 63). C’est à ce point qu’il faut préciser ce qui advient avec la traduction-écriture de Meschonnic : un « éblouissement », comme aime à dire Régy (RSP, 141). Ce que André Chouraqui pointait dans sa préface à sa traduction des Psaumes : « Dans ce pays où nulle traduction de la Bible n’a encore réussi à s’imposer, les traducteurs qui en accepteront la gageure, l’effort et le risque, devront s’orienter vers la création d’un langage nouveau qui permette – cela fut le cas de l’émouvante Vulgate et de l’Authorised Version – de pressentir les profondeurs de vie qui font de la Bible le livre de Dieu ». Mais Chouraqui a oublié qu’on ne peut séparer les mots du silence, de la prosodie et du rythme. Ce que Henri Meschonnic explicite à l’orée de ses premières traductions :

J’ai voulu rendre, et je crois qu’on ne l’avait jamais tenté, les accents et les pauses dont la hiérarchie complexe fait la modulation du texte biblique, son rythme et parfois même son sens. Le rythme est le sens profond d’un texte. La diction, notée en hébreu par un système d’accents, c’est ce que j’ai voulu recréer, par des blancs (dans une hiérarchie non arbitraire), recréer les silences du texte, rythme de page [… ], ce que Gerard Manley Hopkins appelle le “mouvement de la parole dans l’écriture[19]”. Ainsi sont pris avant tout, sinon totalement, les textes bibliques comme textes, moments d’une écriture, sans ignorer l’accumulation des sens qui s’y trouve incorporée (5R, 15).

C’est que la traduction comme pratique et comme théorie est d’abord de l’ordre d’une écoute, d’une écoute comme « principe de traduction » et comme « défi nouveau à un public nouveau » (PPII, 424). Exactement ce que fait Régy quand partant de cet « éblouissement », il pose qu’« il s’agit d’être en relation avec l’incréé et de le faire percevoir au spectateur au lieu de se satisfaire du créé, il y aurait un grand chemin parcouru – à la fois parmi les hommes de théâtre mais aussi parmi le public, qu’il faut faire aussi évoluer » (RSP, 141).

Je me contente de lire le début du chapitre IV que cite souvent Régy.

I

Et encore        et moi j’ai vu        toutes les oppressions                qui se font        sous le soleil

Et tenez le pleur des opprimés        et il n’est pas pour eux        de consolateur        et de main de leurs oppresseurs        violence                et il n’est pas pour eux        de consolateur

2

Et moi je loue        les morts        qui sont déjà morts 

Plus que les vivants                 qui        eux sont vivants        eux encore

3

Et mieux        que les deux                ce qui encore        n’a pas été

Qui n’a pas vu        l’œuvre mauvaise                qui se fait       sous le soleil

4

Et moi j’ai vu        que        tout l’effort        et        tout le succès de l’œuvre              est l’envie de l’un        pour l’autre

Cela aussi est buée        et pâture de vent

5

Le fou       se croise les mains              et mange        sa chair

6

Mieux vaut                plein une paume        de repos

Que plein deux poignées        d’effort        et pâture de vent

7

Et encore        et moi j’ai vu une buée        sous le soleil

8

C’est un qui est seul et pas de second        pas même un fils ni un frère        et pas de fin à tout son effort                même son œil       n’en aura pas assez        de richesse

Et pour qui je fais mon effort        et prive mon âme        d’abondance ?                      cela aussi est buée        et triste besogne

 

Inutile de développer ici le système proposé par Meschonnic pour répondre aux dix-huit accents disjonctifs et neuf conjonctifs de l’hébreu biblique retranscrits dans la version massorète. Il y a ainsi par les blancs et par les « et » lançants et par les reprises, par le rythme qui tient ensemble prosodie, syntaxe et sémantique un dire qui est à proprement parler une théâtralité de la parole ou, comme dit Régy, une mise en scène dans l’écriture : « Si un texte est un texte, il contient sa mise en scène, il faut écouter la mise en scène qui est dans l’écriture[20] ». Mais plus que d’une dramaturgie du texte, il faut parler d’un écriture oraculaire, c’est-à-dire d’une oralité dans et par l’écoute. Ici, par exemple, « et encore » puis « et tenez » engagent l’écoute par le dialogisme jusqu’au dialogal de l’échange : performativité de l’accumulation qui jamais ne donnera dans l’exagération mais cherchera toujours la force du vrai, le ton proverbial qui est plus que la sentence la force prosodique, l’emportement volubile que font les attaques de versets quasi anaphoriques (« et moi », « et mieux », « et moi », « mieux ») mais surtout  le plain-chant consonantique en /p/ du verset 6 ou le « plein » repris deux fois – et l’on compte (« une paume », « deux poignées ») passant par « paume », « repose » et « poignée », s’inachève dans « pâture de vent », donc dans un « cela aussi est buée » ! Bref, ce que Meschonnic appelle pour souligner ce qui s’écrit ailleurs (7, 1), « une paronomase chronique » (PS, 134). Cette persistance, n’est-ce pas exactement ce que pointe Régy dans son propre travail quand il commente le début du 3e verset (« ce qui encore n’a pas été ») :

C’est un appel à l’incréé. (…) J’ai essayé de penser que la seule chose qui compte quand on fait une image, qu’on écrit un texte, ou qu’on le retranscrit, c’est que ce qu’on voit ou qu’on entend nous renvoie à de l’incréé, rende compte de l’incréé. Ce qu’on montre n’a aucun intérêt. Beauté, laideur n’ont aucun sens. Dans le faire devrait se manifester le « ne pas faire », on devrait en même temps sentir l’impuissance à le faire. (OM, 64)

 

4. La ré-énonciation ou l’écriture continuée

Toute la différence entre « Vanité des vanités » et « Buées de buées ». L’examen des manuscrits déposés à l’IMEC par Meschonnic permet d’observer la recherche longue de cette trouvaille qui est passée par « fumée » puis « souffle » et enfin « buée » : c’est-à-dire par l’abandon dès les premiers essais de traduction de tout abstrait quand l’hébreu pose un concret. Mais il n’y a pas que le choix du mot, il y a aussi la relation des mots qui va vers le concret ou l’abstrait : « vanité des vanités » pose une essence des existants, vise même une totalité, quand « buée de buées » pose une pluralité qui jamais ne peut venir à bout d’un illimité qui est un « vivre langage ». Aussi, cette lucidité du ressassement (PS, 132) que le « maître mot », hevel, reste « un point de départ » et ne devient jamais un « point d’arrivée ». La buée ou « l’haleine qui se résout en rien dans l’air » est comme « ces arrêts » et autres ralentissements que demande Régy à ses acteurs pour que « le vrai plein de l’écriture s’entend(e) » (OM, 65). Et il ajoute « si on ne l’a pas dès le départ occulté » ! car c’est ce que fait « vanité » qui oblige à fixer la voix au sujet philosophique ou éthique quand « buée » fait su sujet, de la voix, des problèmes sans cesse au travail et surtout une activité faite matière, une suspension prolongée, une relation infinie.

C’est bien à un « la bouche dans la bouche[21] » que nous invitent les deux expériences dans leur continu : la traduction et la mise en scène jusqu’à la lecture « la bouche dans la bouche ». Oui, la relation est une connaissance en actes, en actes de langage, un faire l’amour comme le poème qui continue « le mouvement de la parole dans l’écriture » :

C’est une respiration, c’est un souffle. Il faut considérer comme une coulée. C’est ce que j’essaie de faire : que le rythme de cette respiration soit celle du texte et qu’elle s’échange entre les acteurs, c’est-à-dire que chacun n’incarne pas un personnage, ne joue pas un rôle ni ne dialogue, mais qu’ensemble les acteurs soient à l’écoute du texte et du souffle de l’écriture. (RSP, 146)

 Bref, il s’agit d’essayer de faire en sorte « de tous les participants, des poètes à part entière selon une ligne générale qui est évidemment suscitée par l’écriture première » (RSP, 138). Mais, comme disait Péguy, « quelle effrayante responsabilité pour nous » (106) car « nulle œuvre pourtant n’est temporellement si achevée » (107). Et alors il y a à choisir entre un devenir public et un devenir auteur (114)… Meschonnic et Régy, le premier parce qu’il commence avec Paroles du Sage un chantier toujours en cours et dont le caractère démesuré est à contre-époque, souvent ignoré, du moins évité, et Régy parce qu’avec Paroles du Sage il s’enfonce peut-être encore plus dans « une expérience transgressive dont l’absence d’applaudissement constitue l’un des symptômes[22] », re-commencent ou du moins nous mettent au commencement, dans ce que Péguy signale avec les Nénuphars  de Monet : contrairement au « mouvement logique » qui « serait de dire » que c’est « le dernier » qui a été le mieux peint, « au contraire, au fond », c’est « le premier, parce qu’il savait (le) moins » (126). C’est à ce moment que la théorie de la réécriture est exactement à son point crucial : entre la « misère des thésauriseurs » (127) avec leur « théorie de la caisse d’épargne » (128) ou « de l’escalier » et « la buée de buées » ou comme dit Régy « la beauté de l’éphémère, suspendu comme de la poussière » (OM, 97).

Aussi, il me semble que la traduction d’Henri Meschonnic est une écriture continuée comme le travail de Claude Régy que Valérie Dréville tient en une très belle hésitation prolongée :

Ça fait appel à la faculté qu’a tout homme d’être dans un… dans un état d’écrire et d’écriture… ça travaille beaucoup là-dessus… sur l’écriture… retrouver l’état qui préside à l’écriture… je pense que ça existe dans chaque homme… il fait entendre ça, Claude, au spectateur même[23].


[1] « Le périmètre respectif des deux concepts demeure, de fait, très malaisément définissable » écrit Christine Lombez dans « Réécriture et traduction » dans Jean-Paul Engélibert et Yen-Maï Tran-Gervat (dir.), La littérature dépliée, Reprise, répétition, réécriture, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 78. Les citations qui suivent renvoient à cette page.

[2] Jean-Louis Cordonnier, Traduction et culture, Paris, Didier/Hatier, 1995, p. 162. Il faudrait comparer une telle conceptualisation avec celle de quand Jean-Claude Chevalier et Marie-Françoise Delport qui parlaient d’« orthonymie » dans Problèmes linguistiques de la traduction, L’Horlogerie de saint Jérôme, Paris, L’Harmattan, 1995.

[3] C. Lombez, « Réécriture et traduction », article cité, p. 77.

[4] Michaël Oustinoff, La Traduction, P.U.F., « Que sais-je ? », 2003, p. 19.

[5] Claude Régy, Espaces perdus (EP), Les Solitaires intempestifs, 1998 (reprise de l’édition Plon de 1988) ; L’Ordre des morts (OM), Les Solitaires intempestifs, 1999 et « Ralentir, suspendre, prolonger… » (RSP) dans Franck Smith et Christophe Fauchon, Zigzag Poésie, Formes et mouvements : l’effervescence », « Mutations » revue mensuelle, n° 203, Paris, éditions Autrement, avril 2001, p. 136-146.

[6] Henri Meschonnic, « Paroles du Sage » dans Les Cinq Rouleaux, Le Chant des chants, Ruth, Comme ou les Lamentations, Paroles du Sage, Esther, traduit de l’hébreu, Paris, Gallimard, 1970, p. 129-184. Dorénavant, les références seront indiquées par PS suivi de la page. Du même, déjà cité Poétique du traduire (PDT), Lagrasse, Verdier, 1999.

Paroles du sage, mise en scène de Claude Régy : Théâtre National de Bretagne, février 1994 ; Théâtre Garonne, Toulouse, du 12 au 22 janvier 1995 ; La Ménagerie de verre, Paris, 8 février-26 mars 1995
 ; Théâtre des Bernardines, Marseille, 1-6 mai 1995 ; Verbier festival & Academy, Suisse, juillet 1995.

[7] Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, P.U.F., 1968 (noté dorénavant, DR suivi de lapage).

[8] Jean-Pierre Faye, Analogues, Paris, Seuil, 1964. Deleuze note significativement que l’analogie est encore « pour un œil malgré tout extérieur ». Il ajoute : « et dans tout ce livre, le rôle d’instinct de mort, interprété de manière analogique » (DR, 349, n. 1).

[9]. «Sonorité générale. – Quel que soit le commandement de la rime sur le vers, quel que soit le gouvernement de la force et de l’ordre et de la nature du rythme, ce commandement et ce gouvernement ne sont eux-mêmes que des éléments, des composantes élémentaires, évidemment importantes, peut-être capitales, mais nullement épuisantes, et il s’en faut, de ce qu’on peut nommer la sonorité générale de toute œuvre, non seulement de tout poème et de toute prose, de tout texte, mais aussi bien de toute œuvre plastique, de toute œuvre contée, dessinée, peinte, de toute œuvre statuaire, enfin généralement de toute œuvre. Ce n’est pas la rime seulement et le commandement de la rime, ce n’est pas le rythme et seulement et le gouvernement du rythme, c’est tout qui concourt à l’opération de l’œuvre, toute syllabe, tout atome, et le mouvement surtout, et une sorte de sonorité générale, et ce qu’il y a entre les syllabes, et ce qu’il y a entre les atomes, et ce qu’il y a dans le mouvement même. C’est cette sonorité générale qui fait la réussite profonde d’une œuvre. », Charles Péguy Clio, Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne (texte resté inédit à la mort de Charles Péguy) Œuvres en prose 1909-1914, édition de Marcel Péguy, Paris, Bibliothèque de la Pléïade, Gallimard, 1961, p. 145.

[10] Voir Langage et relation, Paris, L’Harmattan, 2005 pour une critique de la notion de « ritournelle », p. 120 et suivantes ; et surtout p. 160 et suivantes pour une critique des conceptions du langage de Deleuze qui néanmoins ouvre de nombreux passages à une théorie du rythme dans et par le langage.

[11] C’est ainsi que titre Henri Meschonnic pour participer à l’ensemble Claude Régy, dirigé par Marie-Madeleine Mervant-Roux, « Les voix de la création théâtrale, n° 23 », CNRS éditions, 2008, p. 270-275.

[12] C’est la traduction de l’école biblique de Jérusalem (éditions du Cerf, 1955) que je prends comme unique comparaison.

[13] « Isma » en 1973, « C’est beau » en 1975 et « Elle est là » en 1980.

[14] Arnaud Rykner, « L’inconnu dans la chambre noire, Claude Régy et les dispositifs » dans Marie-Madeleine Mervant-Roux (dir.), Claude Régy, op. cit., p. 56.

[15] Ibid., p. 57.

[16] H. Meschonnic, « La force du continu », article cité, p. 272.

[17] Sabine Quiriconi, « Visages du monologue » dans Marie-Madeleine Mervant-Roux (dir.), Claude Régy, op. cit., p. 156-157. La citation vient de Jean-Luc Nancy, Corpus, Métailié, 2000, p. 74.

[18] Ibid., p. 158.

[19] (Note de S. M.) Le rythme bondissant d’Hopkins auquel on peut comparer l’écriture de Meschonnic, traducteur comme poète, était « le plus proche du rythme de la prose, c’est-à-dire du rythme spontané et naturel de la parole » (cité par Geoffrey Hill » dans « Racheter les temps », in G. M. Hopkins, Le Naufrage du Deutschland, Orphée, La Différence, 1991, p. 7.

[20] C. Régy, « Un cinéma dans notre monde intérieur », entretien avec Sébastien derrey dans Théâtre/Public, 124-125, Gennevilliers, juillet-octobre 1995, p. 115.

[21] Claude Régy à Sabine Quiriconi, article cité, p. 162.

[22] Sabine Quiriconi, article cité, p. 158.

[23] Entretien avec Valérie Dréville dans Claude Régy, le passeur, film super 16 mm de Elisabeth Coronel et Arnaud de Mezamat, 1997, abacaris-film, la sept-arte (ma retranscription).

vendredi 27 mars 2009

Les états de la didactique du français (suivi de) Quand dire c'est écouter: ce qu'on entend dans la voix

LES ÉTATS DE LA DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

suivi de

QUAND DIRE C’EST ÉCOUTER :
CE QU’ON ENTEND DANS LA VOIX

 

 

 

N’est-il pas évident que l’événement n’est point homogène, que peut-être il est organique, qu’il y a ce qu’on nomme en acoustique des ventres et des nœuds, des pleins et des vides, un rythme, peut-être une régulation, des tensions et des détentes, des périodes et des époques, des axes de vibration, des points de soulèvement, des points de crise, de mornes plaines et soudain des points de suspension.

Charles Péguy, Clio.

 

LES ÉTATS DE LA DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

 

La didactique du français ne peut s’envisager sans historicisation. Aussi je commencerais par rappeler une déclaration inaugurale dans l’histoire et peut-être même la naissance de la didactique du français :

Pourquoi ne pas reconnaître dans l’enseignant de français celui qui fait parler tous les langages aussi bien les « primaires » – systèmes de signes des langues naturelles – que les « secondaires » – les pratiques signifiantes, celui aussi qui parle ou travaille dans tous les langages y compris celui des corps, de l’imaginaire, de l’inconscient. S’il répond à un tel profil, le maître de français ne saurait être formé au rabais et la formation continue où s’articuleraient recherche et enseignement est une nécessité absolue. S’il répond à la mission sociale qu’implique un tel profil, il faudra alors en finir avec une pseudo neutralité et assumer, dans une école transformée un véritable rôle d’agent social inséré dans une équipe pédagogique responsable et efficiente. (Pratiques, 1979)

Il s’agit de la conclusion de la déclaration préliminaire éponyme aux actes du colloque de Cerisy d’août 1979 intitulé « Pour un enseignement du français » rédigée par Jean-François Halté et André Petitjean, directeur de la revue Pratiques. En fait cette conclusion vise bel et bien à une transformation de l’enseignement du français par une redéfinition du « profil » de l’enseignant de français et pour le moins par celle de son invention certainement puisqu’il s’appelle plus communément professeur de lettres… L’opération est double : redéfinition par extension-reconfiguration du domaine de compétences et du domaine d’application des compétences (des lettres au français voire à tous les « langages » et du secondaire à l’ensemble de l’enseignement tant en aval qu’en amont, de l’école à l’Université) et redéfinition épistémologique par l’élévation du niveau d’exigence (articulation enseignement-recherche et formation intiale-continuée) et l’extension des implications (« mission sociale » et travail en « équipe pédagogique »). On peut dire qu’il y a la volonté et l’engagement conséquents d’une pensée et d’une politique, de prendre en considération la nouvelle configuration sociale, économique et politique qui résulte du tournant de la fin des années soixante, de la fin de l’après-guerre, de la fin du gaullisme, du colonialisme, etc. Mais on peut aussitôt ajouter que la pensée et la politique qui s’engagent ne sont pas déprises des configurations antérieures et plus particulièrement de la configuration intellectuelle structuraliste qui est absolument concomitante à l’après-guerre, sans compter que ses fondations lui sont antérieures. Il importe de lire cet attachement dans ce passage. En premier lieu, le dualisme des « langages » doublé du dualisme des « pensées » (primaires et secondaires) reproduit (et se fonde sur) presque mécaniquement le dualisme du signifié et du signifiant, de la langue et de la parole. Il est, de plus, augmenté par ce qu’on peut désigner comme une sémiotisation généralisée puisque le langage se voit démultiplier en autant de langages que de découpes (voire de disciplines) faites dans le continuum des activités humaines (« corps, imaginaire, inconscient »). J’ajouterais que la dénomination de « maître de français » inaugure le concept de « maîtrise » qui sous-entend l’ambition scientiste que le structuralisme a inoculée aux « sciences » de l’homme. Le maître n’est plus le « magister » de la relation pédagogique qui tient son autorité de la tradition mais le « savant » de la relation didactique qui la tient de la science la plus en pointe, la plus totalisante. Aussi, faudrait-il entendre l’articulation souhaitée de l’enseignement à la recherche comme une inclusion des pratiques sociales de l’enseignement dans les pratiques sociales de la recherche ou les pratiques se voient réifiées en observables, catégorisables, transformables… sans qu’aucune attention ne soit portée à ce qui ne relève pas d’une agentivité mais d’une subjectivité elle-même inassignable aux « sujets » maîtrisées par les sciences humaines dont les « sciences du langage »… On aperçoit alors les apories possibles ne serait-ce que dans les découplages traditionnels du linguistique voire du culturel (mais déjà des découplages internes à cette configuration seront vite engagés ne serait-ce qu’entre le linguistique et le littéraire) du politique (malgré les déclarations d’intentions : on sait que la coupure primaire/secondaire n’est pas à ce jour problématisée autrement qu’en termes de dispositifs ascendants ou descendants) et de l’éthique (dont on sait le « retour » en lieu et place du politique ces dernières années)

Mais peut-être que ce point de vue n’est pas aussi heuristique que je l’aurais voulu et il me faudrait considérer le « tournant subjectif » plus récent que, par exemple, Christian Puech (1999) caractérise comme « le passage de l’ère de la "linguistique appliquée", contemporaine de la domination des représentations disciplinaires liées au structuralisme, à l’ère de la "didactique", contemporaine, elle de l’émergence du champ énonciatif ». On peut discuter cette dichotomie et penser une porosité certaine de la « linguistique appliquée » à la « didactique » ; ce que Puech lui-même ne contesterait pas quand il relève la « divergence » entre les deux parcours de Jakobson et de Benveniste qu’on « retrouverait dans les représentations disciplinaires qu’ils construisent chacun de leur côté ». Aussi, malgré les apparences, c’est bien le côté Jakobson qui l’a emporté en particulier parce que c’est « la dimension de signifiance liée au plan d’analyse sémantique distinct du plan sémiotique » qui a été « contournée ». C’est que, contrairement à Jakobson qui intègre « un point de vue énonciatif tout en laissant intact le cadre sémiotique et communicationnel » Benveniste change « radicalement de perspective » :

Avec la phrase on quitte le domaine de la langue comme système de signes, et l’on entre dans un autre univers, celui de la langue comme instrument de communication, dont l’expression est le discours. (PLG I, p. 129-130).

Aussi ce « paradigme de la sémantisation en appelle à une refondation » que « l’introduction du point de vue énonciatif » dans l’enseignement du français n’a pas suffi à engager, loin s’en faut. Il suffirait de considérer l’étagement des « grammaires », du mot au discours en passant par la phrase et le texte qui superpose les paradigmes et même empêche que le paradigme de la sémantisation ne soit efficient puisque « la phrase » pour Benveniste constitue l’étage du déplacement et par là-même de l’impossibilité de l’opposition aussi bien savante que didactique d’une grammaire de la phrase et du discours (voir Barjolle, 2003). Mais Benveniste n’est-il pas le premier à semer le doute quand on peut apercevoir que ce n’est pas d’une grammaire dont a besoin le discours et donc la phrase mais d’une poétique, c’est-à-dire d’une attention au mouvement de la parole dans le langage, au « sujet d’énonciation », au « champ positionnel du sujet » (1974, p. 174), à ce que Meschonnic appelle « le sujet du poème » (voir par exemple : 2006, p. 87) ou encore à ce que j’appelle le sujet-relation dans et par le langage (Martin, 2004 et 2005). Autrement dit il s’agirait d’ouvrir concomitamment dans l’ordre didactique comme dans l’ordre savant une tentative de problématisation initiée par Benveniste. Cette problématisation est la condition nécessaire pour relever le défi double de « la crise » de l’enseignement du français – étant entendu que la notion de crise ne permet pas de caractériser ce qui fait difficulté, en particulier dans l’articulation du politique et du didactique, de la langue et de la culture…– et des apories d’une didactique du français prise dans les filets d’une configuration ancienne, post-structuraliste si l’on veut. Apories qui se répètent depuis quelques années sous l’angle d’un certain nombre de retournements qui font balancer l’analyse tantôt du côté du « manque de formation », c’est la version descendante – alors qu’il faudrait interroger le technicisme a-critique de la didactisation par exemple, tantôt du côté du « manque de recherches », c’est la version ascendante – alors qu’il faudrait interroger les régionalismes scientistes par exemple ; l’une et l’autre version retournent toujours l’analyse pour mieux exonérer la didactique – plutôt telle didactique savante – de ses propres impensés, de son aveuglement sur son enracinement dans une sémiotique qui fait fi de toute sémantique voire de toute éthique et politique, autrement qu’à référer à « la question du sens et des valeurs dans la tradition humaniste (osons le mot !) de ses fondateurs à l’âge classique dont évidemment Comenius », comme dit en s’excusant Jean-Louis Chiss (2007).

On assiste plus récemment pour répondre à l’aporie de la situation et aux difficultés qu’a la didactique du français à maintenir un certain nombre de positions et postures institutionnelles, au développement de l’éclectisme c’est-à-dire à l’absence de pensée et donc de problématisation sans parler de conceptualisation. J’en prendrai un exemple récent en me limitant à citer l’incipit et la clausule d’un article (Louichon, 2007)[1] :

Le champ de l’enseignement de la littérature est traversé par un certain nombre de tensions à travers lesquelles il se construit. Ces tensions alimentent et nourrissent les débats et permettent l’articulation dialectique des concepts.

[…]

L’enseignement est par nature un acte complexe et oblige à une pensée systémique. Il convient de donner aux enseignants des moyens d’appréhender et d’apprivoiser cette complexité pour faire avec.

Il y a des notions qui empêchent de voir quoi que ce soit dans la situation actuelle : celles d’« interaction » et de « complexité » qu’accompagnent naturellement « une pensée systémique » et « dialectique », participent activement à une telle manipulation. Car de deux choses l’une, soit dès qu’il y a deux réalités distinctes, il y a tension conceptuelle et donc articulation en même temps qu’il y a complexité parce qu’il faut faire avec deux réalités à la fois, et alors on n’est pas plus avancés puisque rien ne nous est dit sur la spécificité de cette complexité et de cette articulation, bref il s’agit d’une banalité : oui ! L’enseignement est complexe et demande des articulations délicates !!!  soit il s’agit bel et bien de naturaliser et donc d’empêcher de discuter les termes posés aux prémisses des « tensions » et des « articulations », aux fondements de la « complexité » pour éviter que l’édifice conceptuel n’apparaisse comme une complexité éclectique, un montage de représentations très peu théorisées, de points de vue jamais interrogés, de préjugés encore moins critiqués, bref non une raison critique mais un conformisme de la pensée, non une théorie mais une théorie traditionnelle, pour reprendre à Horkeimer (1974). Or, si on y regarde de plus près, tous les « concepts » mis en tension – mais il faudrait parler de notions car la conceptualisation ne peut avoir lieu d’autant plus qu’il est fait référence à « la théorie littéraire » qui les fournirait sans qu’on sache qui elle est… – sont la reproduction du schéma du signe dans ses variantes traditionnelles qui dichotomisent au lieu de penser que ce soit les textes et les lectures. Aussi la réflexion, si ce n’est la recherche, didactiques en sont-elles réduites tant pour l’élève que pour le professeur à « l’apprentissage du compromis ». Mais on sait ce que cela cache : la loi du plus fort… Par exemple, quand Louichon invoque la « reliance » chère à Jean-Louis Dufays ou plus platement « une synthèse à usage didactique : un rapport dialectique » demandée par Catherine Tauveron (voir Dufays et alii, 2005), on nage jusqu’à la nausée dans l’éclectisme du post-modernisme (« hyper-modernisme » selon le détenteur du « concept », voir Bolle de Bal, 2002) qui montre un niveau de non-pensée jamais atteint car comme le précise Henri Meschonnic (2005, p. 14) :

Il y a la nécessité d’une relation entre point de vue et systématique. Cette nécessité situe aussi, immédiatement, l’éclectisme comme une double absence de pensée, parce que l’éclectique croit trouver un double avantage à prendre ce qui lui convient un peu partout, en quoi il méconnaît la double nécessité du point de vue et d’une systématique. L’éclectisme ne subsiste que du compromis.

Je dirais que la dichotomie fondatrice et perverse de tels dispositifs est celle qui dès le départ de l’article de Louichon oppose significativement chercheurs et enseignants :

Du point de vue de la recherche, [ces tensions] sont nécessaires et productives. Pour autant, il est parfois difficile de les penser en termes pratiques, du point de vue des enseignants.

Tout pendant que de telles dissociations éthiques verront le jour, je ne vois pas comment la didactique du français pourra engager la pensée hors d’un scientisme déshistoricisé et déshistoricisant dont, au demeurant, la force théorique et donc critique est particulièrement absente puisqu’elle reste toujours ancrée dans le paradigme du signisme (voir Païni, 2007) où la dichotomie compréhension / interprétation se trouve bloquée sur une conception du sens et non ouverte à la critique du sens, à sa réinvention dans et par l’oralité du dire qui fait le continu du parler-lire-écrire. Oralité du dire qu’on peut entendre dans et par le rythme (Meschonnic, 1995), dans et par la relation (Martin, 2005).

Mais si l’on regarde du côté linguistique, il y a aussi à critiquer la notion de transversalité qui semble défaire l’aporie du discontinu. J’en prends un exemple avec « le point de vue » (PDV) qu’Alain Rabatel nomme « une catégorie transversale » (2005). L’argument premier serait celui du « croisement » de « nombre d’activités de la classe de français » : vieil argument pédagogique du gain qui met toujours les apprentissages sous le registre de la maîtrise (« la maîtrise des principaux motifs, mécanismes et outils du PDV est indispensable pour… ») quand il faudrait les mettre à l’enseigne de problème au sens de Benveniste, c’est-à-dire de questions qui nous précèdent et donc de réponses toujours en retard d’une question. L’argument second est qu’avec une telle notion qui regrouperait moult « données grammaticales … complexes », on éviterait une « atomisation sans objet » et on aurait des « mises en perspective » car « la problématisation du PDV » peut être, « aussi souvent que possible, rapportée à des intentions et à des effets ». Bref, le second argument constitue bel et bien le maintien d’une didactique traditionnelle (ce que montre tout l’article qui suit en accumulant des typologies exhaustives, voire des nomenclatures – « il est certes utile de mettre un nom sur des formes différentes » – jusqu’à proposer des « pistes d’écriture d’imitation/invention » qui constituent autant d’ « exercices » visant l’acquisition « des expertises de toutes sortes, langagières, littéraires, encyclopédiques, qui sont autant  de levier de compréhension, de problématisation du réel, voire de prise effective sur une réalité complexe en devenir » – il s’agit de la conclusion de l’article). Pourquoi traditionnelle ? Parce qu’elle constitue une conceptualisation du discontinu et non une prise conceptuelle sur le continu du langage. C’est que cette « problématisation » s’articule à un hors langage (« intentions et effets ») qui renvoie le problème du point de vue aux catégories du discontinu et ne permet pas d’en faire une catégorie du continu – ce qui permettrait alors vraiment une visée traversière plus que transversale, laquelle montre une posture de domination plus que d’interrogation critique. C’est toujours la même chose en didactique du français (et ailleurs ?), les bonnes intentions cachent des postulations et des manipulations : c’est le cas avec le point de vue.

Je terminerai ce trop rapide parcours – et on excusera les choix faits et l’exposé trop superficiel des enjeux – en proposant à la didactique du français une reconfiguration épistémologique qui permettrait de la concevoir non à partir du paradigme du signe ou de la sémiotique dans ses versions constamment relookées mais bien plutôt à partir de la théorie et de la vie du langage ou d’une poétique. Ce qui permettrait de penser à la fois :

1.     le continu du littéraire et du linguistique ;

2.     le continu du « parler-lire-écrire » ;

3.     le continu de l’apprentissage et de l’enseignement du français dans et hors la discipline, de la maternelle à l’Université.

Rapide explication vers une conclusion forcément provisoire : paradoxalement, c’est de théorie du langage que manque la didactique du français ! Pour deux raisons : seul le souci d’une « théorie du langage » permet de commencer à penser ce que Saussure pointait fortement, à savoir l’« immense cercle vicieux, qui ne peut être brisé qu’en substituant une fois pour toutes en linguistique [et donc ici en didactique du français] la discussion des points de vue à celle des "faits", puisqu’il n’y a pas la moindre trace de fait linguistique, pas la moindre possibilité d’apercevoir ou de déterminer un fait linguistique hors de l’adoption préalable d’un point de vue » (2002, p. 24-25) et seule une « théorie du langage » permet d’augmenter l’attention à la « vie du langage » (Saussure, 2002, p. 53-55), c’est-à-dire non seulement au « fait que le langage vit à travers le temps » mais comme précise aussitôt Saussure qu’il « est susceptible de se transmettre » (Ibid.). Et c’est avec ce dernier point que je voudrais conclure : la relation pédagogique est d’abord et avant tout une relation langagière ; aussi l’enjeu de la didactique du français n’est pas étroitement celui d’une « maîtrise du langage et de la langue » qui viendrait comme s’ajouter à d’autres « maîtrises » quand il faudrait plutôt que « l’entraînement à la théorie du langage appara[isse] (…) indispensable à chaque individu pour se situer dans le monde. Le rendre plus intelligent. La visée même de l’enseignement. À commencer dès le primaire, et pas seulement au lycée » (Meschonnic, 2000). C’est qu’en effet, si la didactique du français continue dans sa frilosité – ce qui n’empêche pas son arrogance parfois… – à ne pas mettre au centre de son projet de recherche et d’action un tel entraînement – valable pour ses chercheurs comme pour ses enseignants et ses élèves –, alors elle disparaîtra pas seulement sous les coups de boutoir de ceux qui la disqualifient par principe mais parce qu’elle aura d’elle-même tissé son linceul. Contre la configuration actuelle qui encourage dans les faits les stratégies du discontinu, seule une poétique de la relation dans et par le langage toujours à inventer peut seule maintenir la pensée de la valeur, et donc du sujet et du social, dans le langage. Mais peut-être est-il trop tard. Il n’est jamais… trop tôt. Et pour cela commençons par le « dire ».

 


QUAND DIRE C’EST ÉCOUTER : CE QU’ON ENTEND DANS LA VOIX

 

Qu’est-ce que dire ? Si dire n’est pas séparable de parler, on ne peut confondre les deux sachant bien que la conceptualisation de la parole est souvent proche du dire. Quoiqu’il en soit, dire ne peut être confondu avec une diction réduite à une oralisation expressive des textes ou à une rhétorique de la diction des textes voire à une sémiotique-esthétique des dictions… qui soit arriment le dire au dit, soit sortent le dire du langage par un psychologisme ou un sociologisme de l’expression (voir Martin dans Lecture jeunesse, 2005).

Vers une autre attention au dire

peut-être on commence à dire

ce qui passe de corps en corps

quand on arrive à entendre

les voix qui parlent seulement

dans les silences de notre voix

Henri Meschonnic (Nous le passage, Verdier, 1990, p. 31)

 

Il y a dans l’interaction du dire au parler un rapport qui est analogiquement le même que du dire au lire et à l’écrire, par quoi la trilogie qui fonde une didactique du langage à l’École est bien celle du parler-lire-écrire mais dont le dire constituerait le levier fondamental et transversal si ce n’est transformateur et intégrateur. C’est que dire est au fond le mode premier de toute subjectivation à l’œuvre dans le parler, le lire et l’écrire et que penser le dire continûment dans ces trois domaines d’activités langagières c’est, pour le moins, poser le dire comme le vecteur de la subjectivation dans et par le langage, c’est poser le primat de la voix dans le langage et du langage dans la voix. Ce qui est mettre le dire dans une conceptualisation qui est bien loin d’en faire un appendice ou un supplément voire même un compartiment des apprentissages, des activités langagières et même des activités artistiques. Le dire est au cœur de la subjectivation dans et par le langage parce que l’attention au dire est l’attention au rythme, à la relation, au sujet dans et par la voix. Ce qui n’est pas sans rappeler ce que W. von Humboldt signalait il y a longtemps :  « la véritable individualité réside dans la seule effectuation du sujet parlant » (cité dans Meschonnic, 1975, p. 133).

 

Dire va avec parler, lire et écrire seulement si on ne le sépare pas de ces activités langagières ! Or la séparation semblerait souvent naturelle et donc naturalisée puisque dire consisterait didactiquement à porter un texte à l’oral. Il faudrait bien entendu observer les attendus et les conséquences de cette discontinuité : le dire définitivement exclu de l’écrire voire du lire et du parler ; le dire, donc, consigné à une traduction/interprétation fidèle du dit de l’écrire, à sa bonne expression pour le lire et le parler. Bref, une activité qui viendrait confirmer/infirmer mais jamais inventer, créer l’œuvre, le sujet de l’œuvre, le sujet à l’œuvre. Une activité toujours postérieure à l’œuvre, qui met la voix sur l’œuvre et non dans l’œuvre. Cette conception est une représentation des activités langagières, qu’elles soient artistiques, scolaires ou autres, qui met le dire après le parler, le lire et l’écrire, et non en leur cœur comme activité relationnelle et donc transsubjective dans et par le langage.

 

Contre cette naturalisation de la réduction du dire à l’expression/interprétation, il faudrait toujours rappeler qu’il s’agit d’une conception du dire arrimée à des conceptions du langage et donc du sujet et de la relation, qui soumettent le dire à des instances herméneutiques-sémiotiques, lesquelles lui enlèvent sa force et son intempestivité pour l’asservir au sens et au signe, qui renvoient le dire hors langage dans les individualismes ou les collectivismes rhétoriques pour ne pas dire comportementaux, lesquels empêchent toutes les subjectivations à l’œuvre de faire œuvre (voir Martin dans Le Français aujourd’hui n° 149) en renforçant les séparations du poétique, de l’éthique et du politique. Ce travail critique permettrait alors d’engager une écoute du dire tout autre. Dire deviendrait alors la possibilité de faire du sujet avec du sujet, et autant de sujet(s) qu’il y a de sujet(s). Par quoi, dire est au cœur des stratégies de la relation contre toutes celles qui veulent les rapporter à la communication qu’elle soit prosaïque (objets du culturel condamnés à la circulation/consommation des signes) ou sacralisée-sacralisante (sujets, au sens d’assujettis, d’une transcendance, d’un destin, d’une epokhê…).

 

Il y a d’abord à travailler à l’interaction des trois activités pour éviter leur séparation sous peine de réitérer les stratégies du discontinu qui conduisent poétiquement à privilégier le dit au dire, politiquement à séparer les individus en créateurs (actifs) et publics (passifs), éthiquement à bloquer la relation transsubjective et à condamner le sujet de la relation à ses termes : objet de communication versus sujet expressif, interprétatif, culturel, etc. (voir sur ces questions Martin 2004 et 2005). Didactiquement et pédagogiquement, les stratégies du discontinu réitèrent toujours la dichotomie oral/écrit en excluant ainsi toute prise en compte de l’oralité qui est au principe du dire dans toutes les modalités du parler, du lire comme de l’écrire, de tout l’écrire et pas seulement du parlé dans l’écrit ; de plus, ces stratégies rendent impossibles l’écoute des processus de subjectivation autrement qu’à les réduire à des « sujets », « postures » ou « rôles » voire « figures » pris dans les rets des herméneutiques, des sémiotiques ou des rhétoriques qui posent toujours les termes avant la relation – c’est tout le sens des notions telles que « incorporation », « incarnation », « expression », « figuration » et autres retours sur affects dont on est maintenant coutumiers – et qui toujours ignorent la subjectivation dans et par le langage quand bien même elles disent qu’elles s’en préoccupent puisqu’elles désolidarisent la question du sujet de la question du langage. Le « retour du sujet » y est toujours un retour du subjectivisme sous ses deux formes bien connues : l’individualisme ou le collectivisme dans les mouvements de balancier des idéologies ou des scientismes qui rivalisent dans la sortie du langage afin de disculper de tout point de vue poétique, éthique et politique leur propre discours (voir sur toutes ces questions le magistral ouvrage de Meschonnic, 1995).

 

Il y a ensuite à penser ce que le dire fait au parler, au lire et à l’écrire et inversement. Comment lire le dire l’emporte sur lire le dit, comment le dire est au principe de l’écrire, comment le parler ne s’entend vraiment que dans le dire et, enfin, comment dire est d’abord paradoxalement l’invention d’une écoute. Celle de la voix du parler, du lire et de l’écrire, voix pleine de voix – au pluriel et au singulier. Au pluriel parce qu’il s’agit bien d’y concevoir une pluralisation toujours à l’œuvre, une polyphonie qui jamais ne permet l’individuation comme identification, comme stase ; et au singulier parce que l’écoute de la voix est toujours une re-conceptualisation de la voix, une pensée de la voix dans et par chaque écoute qui perd son écoute si elle ne pense pas sa voix et perd sa voix si elle ne pense son écoute. Voix parce que le dire comme écoute transforme le parler, le lire et l’écrire en activité pleinement transsubjective : en poèmes-relations. C’est ce que le poète Ossip Mandelstam a fort bien montré dans son essai au très beau titre : « De l’interlocuteur » (Mandelstam, 1990, p. 58-68) dont je retiens les passages suivants :

 

L’air du vers, c’est l’imprévu. Si l’on s’adresse au connu, on ne peut exprimer que du connu.

[…] Le poète est seulement lié à un interlocuteur providentiel.

[…] Ce n’est pas d’acoustique qu’il faut se soucier : elle viendra toujours d’elle-même.

[…] La poésie en tant que telle aura toujours pour objet quelque destinataire inconnu et lointain en l’existence duquel le poète ne saurait douter sans se remettre lui-même en question.

En fin de compte, l’attention au dire comme écoute revient à laisser agir (à ne pas empêcher d’agir) toute la part d’inconnu, d’imprévu, d’insaisissable même, qui fait la force toujours active d’une œuvre dans et par un parler, un lire ou un écrire au cœur de la plus grande attention portée à l’activité du langage comme activité d’un sujet-relation. Nous sommes alors portés par l’œuvre plus que nous la portons : c’est elle qui nous fait parler, lire, écrire plus qu’on ne la parle, la lit, l’écrit. Aussi n’y a-t-il pas de théories régionales de ces activités (une didactique du dire puis une du lire, etc.) mais il y a toujours une poétique de l’œuvre, de chaque œuvre, qui les traverse quand dire les traverse. La poétique n’est pas alors une prise sur les œuvres mais la condition critique que les œuvres nous prennent…

 

Vers une autre écoute dans et par le dire

Je me souviens encore… comme si c’était hier… de la première fois où je t’ai entendu Lire… […] c’était comme si c’était un électrochoc !…

Bernard Heidsieck (« Ghérasim Luca » dans Respirations et brèves rencontres, Al Dante, 2001)

 

Pour que dire ne soit plus le parent pauvre de la trilogie didactique réduit à la portion congrue de l’oralisation ou de l’expression quand il faudrait en faire un moyen des plus fort et des plus efficace pour écouter le poème des œuvres de langage on pourrait d’abord concevoir des rituels qu’il serait utile d’installer tout au long de la scolarité, dans des variantes bien évidemment adaptées que nous pouvons maintenant résumer ainsi :

 

1.     lire sans préparation spéciale en faisant passer le texte dans les voix des participants et, à l’issue d’une lecture, discuter les erreurs de lecture non pour y lire une erreur du lecteur mais pour y lire une aspérité significative du texte : le réseau, certes aléatoire des erreurs, constituant un réseau des aspérités du texte et une entrée dans son rythme, en tout cas un travail de la relation (les remarques d’un Jean Renoir (1974) à ses acteurs sont d’une pertinence qui ici inspire : aucune préparation mais beaucoup de temps pour que le texte (vous) prenne et « prenne » corps : mouvements, lumières autant que paroles et silences et gestes dans la voix) ;

 

2.     enregistrer régulièrement des fragments de ses lectures puis les écouter  pour entendre sa propre voix à distance : apparaît alors une autre voix qui est celle que le texte nous a faite et qui peut permettre alors de relancer le dire du texte (les élèves ont des cahiers, des classeurs et malheureusement, ils n’ont pas d’archives sonores… alors qu’il est très facile de les réaliser puis de les utiliser aujourd’hui : cette attention à « sa »  voix est un préalable à l’attention à la voix) ;

 

3.     écrire régulièrement dans les insterstices du texte en donnant de la voix à ceux qui n’en ont pas (apparemment du moins) : ces écritures avec les œuvres ne visent aucunement à imiter, à prolonger ou à parodier… mais cherchent à augmenter l’écoute des voix dans et par le travail de l’écoute d’un dire qui vient comme résonner le dire de l’œuvre (voir « Donner la parole aux sans-voix » dans Le Français aujourd’hui, n° 150).

Mais il s’agirait encore plus certainement d’engager une reconceptualisation didactique pour qu’on apprenne à parler/lire/écrire le dire autant sinon plus que le dit dans nos institutions scolaires. Parler / lire / écrire le dire demanderaient simplement de considérer la parole, c’est-à-dire ce qui du sujet s’invente dans et par le langage. Après les travaux de Henri Meschonnic, il me semble que doivent vraiment être promues des activités d’observation-conceptualisation qui permettent de construire l’écoute de cette invention subjective, transsubjective, écoute qui passe par la prise en compte pleine et entière du dire : la prosodie et plus largement le rythme que personnellement je placerais sous l’exigence éthique et politique d’une recherche de la relation dans et par le langage contre toutes les stratégies de la communication. Écoute qui est d’abord la recherche du récitatif à rebours de toutes les habitudes narratologiques et poétologiques. Les premières sont rivées aux schémas du récit (voir notre Les Contes à l’école) quand les secondes sont soumises au diktat de l’énoncé, de l’énonciateur et de leurs figures. Narratologies et poétologies rendent sourd au récitatif puisqu’elles ne mettent pas ce « mode de signifier d’un sujet qui passe à tous les sujets » (Meschonnic, 1981, p. 115) au cœur de l’activité du poème dans son dire mais y voient un supplément, une figure expressive quand ce n’est pas une trace, une marque qui ainsi signe la mort du récitatif. Alors c’est le signisme qui vient là dire son dernier mot… Mais comme dit Meschonnic, « tant que le signifiant a un sujet, il est vivant, continu, éternel, ayant la survie du sujet de l’énonciation, comme le sujet a la survie du signifiant » (ibid.) !

 

La prosodie est en effet pratiquement ignorée par tous les programmes de l’enseignement sauf à l’instrumentaliser dans quelques « lectures » qui servent à reconnaître un genre, un type ou encore une forme mais jamais une manière, un poème comme poème-relation. Les travaux de Gérard Dessons (2003) viennent consoner ici avec notre problématique. Il y fait, entre autres, une critique de « la logique de l’expression » qui réduirait la manière à une manie et on voit bien ce que certaines dictions, celles de maints comédiens, font du dire de certains textes : des manies plus que des manières, s’en suivent des manies de manies jusque dans les classes… Mais, plus fondamentalement, Dessons note que « appliquée à la question de l’art, la notion d’expression génère une confusion aux conséquences redoutables, puisqu’elle rapporte la responsabilité de l’art à l’activité d’un sujet psychologique, volontaire ou non » (p. 149) ; la conséquence en est que, pour lui, « la notion d’"expression créatrice" rend impossible la pensée de la spécificité artistique » (p. 151). Or, c’est la « prosodie qui fait qu’à la lecture du dit s’ajoute une autre lecture, une lecture du dire » (Meschonnic, 2005, p. 16). Ce que je reformulerais ici plus radicalement : c’est la prosodie et, au-delà, le rythme comme sémantisation générale du discours, comme subjectivation transsubjective dans et par le poème, qui engagent à inventer un parler, un lire et un écrire pour les écouter, les réénoncer, les porter à leur infini. Aussi, pour ne pas faire de la prosodie et du rythme, une « prise » qui viendrait s’additionner à d’autres prises dans un éclectisme didactique – ce que font la stylistique et la linguistique textuelle ou discursive – ou se conformer à une instance plus élevée – ce que réalisent toutes les herméneutiques et esthétiques sémioticiennes, il s’agit de porter l’attention prosodique à son efficace motrice dans le parler, le lire et l’écrire. Ce que Charles Péguy appelait « sonorité générale » est tout simplement à écouter, à apprendre à écouter car souvent la conception du dire empêche que puisse s’écouter la résonance générale du dire à l’œuvre :

Ce n’est pas la rime seulement et le commandement de la rime, ce n’est pas le rythme seulement et le gouvernement du rythme, c’est tout ce qui concourt à l’opération de l’œuvre, toute syllabe, tout atome, et le mouvement surtout, et une sorte de sonorité générale, et ce qu’il y a entre les syllabes, et ce qu’il y a entre les atomes, et ce qu’il y a dans le mouvement même. C’est cette sonorité générale qui fait la réussite profonde d’une œuvre . (Péguy, Clio dans Œuvres en prose, La Pléiade, Gallimard, 1961, p. 1048)

 

Aussi transforme-t-on un dire en travaillant sa conception du dire et inversement.

Je prends un exemple qui montre comment le dire peut opérer par la prosodie, le rythme, les signifiants-relation :

 

LES CRIS VAINS

 

Personne à qui pouvoir dire

que nous n’avons rien à dire

et que le rien que nous nous disons

continuellement

nous nous le disons

comme si nous ne nous disions rien

comme si personne ne nous disait

même pas nous

que nous n’avons rien à dire

personne

à qui pouvoir le dire

même pas à nous

 

Personne à qui pouvoir dire

que nous n’avons rien à faire

et que nous ne faisons rien d’autre

continuellement

ce qui est une façon de dire

que nous ne faisons rien

une façon de ne rien faire

et de dire ce que nous faisons

 

Personne à qui pouvoir dire

que nous ne faisons rien

que nous ne faisons

que ce que nous disons

c’est-à-dire

rien

 

Ce texte de Ghérasim Luca (2001, p. 212-213) [il faut préciser que le titre est sur la page de gauche et les trois « strophes » sur la page de droite] vient de l’ensemble intitulé « Dé-monologue ». Cet ensemble « pass[e] / du / dialogue / au / dé-monologue » (p. 203). Benveniste rappelait qu’un « monologue […] doit être posé, malgré l’apparence, comme une variété du dialogue, structure fondamentale » (1973, p. 85) : ici, Luca suggère de faire entendre le démon de la voix, l’autre de toute voix, de toute individuation par la voix, bref un dialogisme fondamental qui pose une anthropologie relationnelle dans et par le langage. Cette critique explicite des conceptions du « dialogue », qui n’est pas sans évoquer d’autres critiques presque contemporaines comme celle, entre autres, de Roland Dubillard (1975), est d’abord une attention au langage (« logos ») que les conceptions dominantes du dialogue (voir Ricœur, 1990 et Habermas, 1987 – pour une critique, voir L’Amour en fragments et Langage et relation) n’ouvrent pas mais ferment puisqu’elles posent les termes avant la relation et/ou la relation hors langage.

 

Trois « strophes » lancées par le même « Personne à qui pouvoir dire » qui prend progressivement une force pragmatique relationnelle forte : l’appel ou l’invocation y fait plus le sens que l’énoncé d’une impossibilité – il n’est pas sans évoquer d’ailleurs le lama sabactani de Jésus (Matthieu, 27,46) qui reprend et, en même temps, déplace le psaume 22 dont on sait, depuis la traduction de Henri Meschonnic qui montre bien que « le rapport au divin n’y est pas le même », que le rythme modifie le sens puisque ce n’est plus « pourquoi », mais « vers quoi, à quoi » qu’il faut lire, entendre, répondre… : « Mon dieu mon dieu    à quoi m’as-tu abandonné […] » (Meschonnic, Gloires, traduction des Psaumes, Desclée de Brouwer, 2001, p. 90 et note 2, p. 389-390). Les trois séquences du poème de Luca sont diminuantes : de 12 à 8 puis 5 lignes alors qu’on entend bien une activité volubile mais qui se rongerait elle-même ou bien alors qui passerait le relais. Le travail du négatif semble continu : retranchement « strophique », nous venons de le voir, mais également sémantique continue du négatif entre sujet (« personne ») et objet (« rien »). Mais ce travail du négatif n’est pas le chant nihiliste auquel une certaine poésie du négatif nous a habitué car le « faire » est conjoint au « dire » et il ne l’est pas dans une conception métaphysique qui viendrait réenchanter une poiêsis mais bien dans une éthique que seul le poème dans et par son rythme trouve et engage. Les lignes ponctuantes font ici prosodiquement et rythmiquement une indécision de « dire » : de l’intransitif au transitif et au-delà du renversement possible du « dire » puisqu’on dit autant qu’on est dit. Par conséquent, il s’agit certainement plus d’une critique de la nomination (« dire quelque chose ») qu’une apologie de l’impuissance du langage (« rien dire ») ; ce que renforce le passage du dire au faire : leur équivalence finale étant non seulement dans le dit du poème mais surtout dans et par la rime, dans et par l’échange continuel que les mots font dans le poème où faire s’entend de plus en plus comme l’équivalent de dire et inversement. Renversement qu’on peut alors entendre de « dire » à « faire » puis à « rien » et qui résonne jusque dans le titre, « Les cris vains », qui rime avec la finale du texte (« vains »/« rien »).

 

Dire c’est surtout ne rien faire… du texte ; ne pas le réduire au sens, à l’énoncé ; surtout ne pas faire de l’œuvre un objet ! Alors « dire » c’est d’abord la force de ces attaques en /k/ qui sont comme autant de demandes d’écoute, de demande d’un « continuellement » qui passerait de bouche en bouche. Et c’est ensuite le « chant sous le texte » des quarante /n/ que lance « personne », cet absent tellement présent ! Cette voix dans la voix qu’une ligne vient même isoler pour mieux relier. Pour mieux relier « personne » à « nous » qui sont aux deux bouts de la première séquence ; pour mieux relier l’impersonnel au personnel, l’individu au collectif, le subjectif au transsubjectif : tout ce que font ces « cris vains » de Ghérasim Luca où l’écrit fait les cris autant que le dire fait l’écrire comme invention d’un sujet-relation (« nous nous disons ») :

[…]

j’écris et je cris de ma langue déchirante

je déchire tes bras tes bas

délirant je désire et déchire tes bras et tes bas

le bas et le haut de ton corps frissonnant

frissonnant et pur comme l’orange

orange de tes genoux de tes narines de

ton haleine de ton ventre je dis

ventre mais je pense à la nage

à la nage du nuage nuage du

secret le secret merveilleux merveilleux

comme toi-même

toi sur le toi somnambulique et nuage

nuage et diamant c’est un

diamant qui nage qui nage avec souplesse

tu nages souplement dans l’eau de la

matière de mon esprit

dans l’esprit de mon corps dans le corps

de mes rêves de mes rêves en action

 

Cet extrait du « rêve en action » (Luca, 2001, p. 48-50) met le vertige au principe du dire : « tomber dans tomber » disait Marina Tsvetaieva. Cette paranomase généralisée où les mots s’auto-engendrent n’est pas un procédé mais le travail généralisé de la rime : une résonance générale, une incantation !

Prendre à bras le corps le « dire » consisterait en fin de compte à mettre en action le rêve des œuvres, du conte au poème, le poème dans le conte et le conte dans le poème. C’est pourquoi quand le dire vient à l’œuvre c’est la fable de la voix qui commence… elle est sans fin comme la relation à l’œuvre, le faire relation de toute œuvre dans son dire.

 

 


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[1.1] Le titre de cet article, (« Du discours didactique au discours institutionnel : de la nécessaire tension à la difficile synthèse ») est au demeurant plus qu’éloquent : le transfert (la « mise en œuvre ») et non le rapport entre recherche et institution est tendu naturellement vers la « synthèse » ; on voit alors que l’éclectisme vient forcément sauver les discours et les partages établis sans risquer de transformer sérieusement les uns et les autres.