dimanche 3 janvier 2010

"Inactualité" du théâtre : avec Kertész



Non, dis-je

pour Jean-Quentin Châtelain

l’âge de mon père dis-je à ma femme

mais écrivais-je le fils serait le père

de son fils et donc pensais-je Dieu

mais il a commencé exténué la tête

dans les mains toutes les paroles

non, pas un monologue : un dos


l’image du père comme exacerbation

des vertus inculquées écrivait-il c’est

Auschwitz et les circonstances fis-je

éternelles il a continué à s’époumoner

avec les deux mains dans son couvre-

chef tremblant de solitude criais-je

non, pas du théâtre : ouvert ici


épuisé oubliant de s’asseoir sans

chaise s’asseoir en marchant effondré

criait-il l’ordre du monde avait changé

et le même continue la voix huilée

hurlait-il tremblais-je en te prenant

très fort la main la même tirant ses

cheveux si fort sans rien demander

non, pas une prière : une démarche


l’indélicatesse des philosophes

précisait-il la tête penchée contre

le dialogue envahit comme Dieu

un enfant je suis jouait-il avec l’air

dans les nuages pour creuser plein

de bouches traduisait-il de tombes

donc faisait-il ce silence à haute voix

tous les spectateurs ruminant fort

pour ne pas entendre l’explication

non, pas un raclement : une gorge


dans l’anus du monde l’enfant religieux

et sa petite musique grinçais-je

le témoignage refusait-il le bourreau

récurait l’évier de l’histoire qui

continue morte pour mieux vivre

dis-je en lisant ses deux mains

il défait les lacets chaussettes et

retourne voyais-tu le cauchemar

inexplicable qu’on fasse l’amour

non, pas un après : une force


c’est l’instituteur qui a fait ça

expliquez-moi si vous pouvez

ce que peut un corps avec tous

ces nuages qui suggérait-il

creusent nos certitudes de silence

tu me l’as dit aussitôt je tremble

encore mon amour véritable

comme un enfant sans père

il précise pas du tout comme une

notion abstraite ou alors le rire

non, pas un manque : un corps


indestructible ce corps de face

de dos au mur répétait-il sans fin

tout contre le nihilisme souriait-il

ton destin unique dans mon refus

ni de propriétaire ni de propriété

réécrivais-je dans la nuit il revient

pour saluer sans la moindre erreur

non dis-je tu n’es pas au passé

non, pas un souvenir : un venir


c’est bête mais je mens fuis souvent

criais-je dans ta voix je te suis ma voix

et j’ai l’âge de notre amour dis-tu

non, pas un revenant : un allant


(texte écrit fin 2005 avec Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas de Imre Kertész mis en en scène par Joël Jouanneau et interprété par Jean-Quentin Châtelain au « théâtre ouvert », Paris-18e)


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