samedi 24 décembre 2011

avec des yeux énormes de bête

Ce texte en chantier avec Aaron Clarke...

Quoique ce prince méritât toute
son attention,  elle ne put
s’empêcher de lui
demander où était la Bête.





(1. la coupure animale)

bonheur oh la vie naissante
libre elle va
commencer le mouvement
voler nager beugler hurler
elle va sauter
te sauter au cou d’un pas
éternel
d’un passage de morsure
pas pas pas passionnément
te sauter je vais
d’un pas libre
avoir une carapace des ailes porter une trompe
remuer la queue blottir être la matière
dieu devant va s’écouler
le sillage a toujours sa fin
derrière
dieu devant va nous sautons
libre elle va l’atalante
ta lente morsure
s’écoule toujours
derrière
la distinction obsolète












(2. les bordures immatures)

dans ses pattes ou ses meutes la force de
la force de force de courir
et je me tourne
tu fais l’émeute
face toute rouge
fermés quand tu hurles
mes yeux
voient tu danses
du bout les doigts du bout
observent bander
tes dorsaux savent
en pleine nuit ouvrir
tes clartés
il y a à sauter une flamme brûle
les odeurs de mort explosent
il y a une flamme brûle
l’inconscience du pas supplémentaire
tu oses voir mes yeux
enflammés
les odeurs s’épuisent
et tu traverses
tu verses tout le corps
dans sauter
nos existences mineures












(3. les seuils imperceptibles)

l’aigrette perchée toujours
l’aigrette a l’éveil planté
sur son envers
son vers le silence
ses tendances et ses devenirs
il y a la ligne courbe jusqu’à
elle a des lèvres
le silence des lèvres sans cesse
embrassées nous guettons
une phrase
une phrase s’allonge et tire
les lèvres du ressac
elle tire quelle lumière
reverdit sous
ses pas
je vois ses pas bondir
en répartitions rigides
vers la force attirante
l’invisible et les ailes
écument deux pointes
blanches les voiles
l’écume
tes larves immatures













(4. la dénaturalisation des espèces)

tu tiques vers le multiple
et jubile l’âme de ton cœur
en nuit rouge
sur pattes ou cartes tu
retombes
à la mort à la vie
de nos voix
muter et tu mues
m’hurles des bondir
de bondir comme
tous mes diables
qui montent qui montent
je ris de dire c’est
bête
à notre image dieu
fait la bête
bondissante
vers toutes
mes bondieuseries
s’évanouissent










(5. les fonctions dépolarisées)

elle va d’un pas
lorsqu’elle bondit où
les fantômes
s’écoulent d’un pas éternel
sa belle individuelle
unité ne parle pas
elle médite et tire la langue
jusque dans ses pattes
c’est le lion qui réside
sa toute puissance
en meute inassouvissable
et toutes les différentielles
anonymes tu es
bannie je t’aime
socialement collective
et à l’œuvre
ta bête rugit
toute rouge je te
cinématographe
tu rentres dans l’image pour
bondir associés nous
sortons avec tous nos
rapports









(6. les tiques collectives)

factice subversion du masque
je résonne et ta voix
me gronde une matérialité
circulaire comme tu danses
nos germinales subjectivations
inconnues
la petite bête essaime
des ruches et chute
dans les rues et les bois
ma chanson
tes rondes et bulles
toutes les compositions
cliniques
en orgasmes aléatoires
pour bondir
sans se contenter des tentations
vers l’animalité
tout mon corps t’aime
jusqu’à l’os de ton âme
nous nous éloignons
des anthropocentrismes
et tourne tourne
l’éthique
de la bête à bon dieu
ses points sans fin

lundi 14 novembre 2011

Où le visible pense l’invisible

Où le visible pense l’invisible, aquarelles et encres de Marianne K. Leroux avec la voix des poètes : Thimothée Laine, Patrice Llaona, François Migot et Philippe Païni, L’atelier du grand tétras, 2011.
Vingt-neuf très belles reproductions en quadrichromie de vingt-neuf aquarelles de Marianne K. Leroux auxquelles s’adjoignent quatre poètes ouvrent et ferment ce livre postfacé en quatrième de couverture par l’éditeur, Daniel Leroux, auquel son épouse dédie ce livre et qui aimerait qu’un tel livre offre à son lecteur « l’éveil des Formes promises de l’Inconnu ». MKL a accompagné Daniel depuis ses débuts en édition : un tel accompagnement en édition et en revue – je pense à La Racontote – n’est pas anodin, c’est un élargissement non seulement pour ce qu’on voit avec et dans les livres mais aussi pour ce qu’on vit avec l’art – et le langage. Que ce livre d’art se concentre sur ces vingt-neuf aquarelles, en laissant pour plus tard (?) d’autres aspects du travail de MKL, qui offrent d’échappée bleue en bleu furtif une nuit abondante de passages, et nous voilà au seuil d’un balbutiement retrouvé. Peut-être que les aquarelles de MKL tiennent leur force d’une telle ouverture vers le langage,le poème du langage que ses titres suggèrent à leur façon discrète, balbutiante. Elles nous ouvrent le regard à cet état naissant de la parole et donc de la vie. L’art n’y est alors qu’au point de désapprendre ce qui fut apprendre qu’il s’agisse de couleur ou de forme, de sujet ou de rythme, de matière ou de composition. Les aquarelles de MKL semblent en effet continuer des métaphores de la lumière qui éclairent encore et encore les effluves d’une « heure très rare », comme dit Thimothée Laine : une lumière qui vient du fond, précise Patrice Lloana, « vers l’espoir d’une source », ajoute François Migeot ; et comme suggère Philippe Païni, « l’indéniable » et « l’inexorable » de l’art de MKL « nous improvisent ».
En fin de compte, ce premier livre d’art des éditions est un geste qui nous prend par l’infini de ce qui bouge encore dans et par l’art de MKL et qu’on ne saurait nommer autrement qu’à cesser d’en tourner les pages de fugue en dédale, de légende en épreuve de l’absence. On espère bien que pour notre plaisir et dès que les 275 exemplaires seront épuisés un autre livre d’art montrera le continu de ce geste.



Fargue-Groethuysen

Le texte qui suit est à paraître dans la revue Ludions n° 13 de la société des lecteurs de Léon-Paul Fargue
 L-P Fargue par Man Ray (ci-dessus) et Gide avec Groethuysen (ci-dessous)

Bernard Groethuysen (1880-1946) un peu plus jeune que Fargue meurt juste avant lui. Si la contemporanéité les a réuni, rien dans leurs parcours respectifs n’aurait dû permettre de les voir si souvent ensemble. L’élève de Dilthey et Simmel, professeur de sociologie à l’Université de Berlin, s’installe toutefois en France en 1932 s’y faisant naturalisé cinq ans plus tard suite aux événements tragiques de la politique allemande. Mais Groethuysen s’est fait depuis longtemps le passeur entre les deux cultures et c’est dès 1921, juste après la grande guerre, qu’il commence sa collaboration avec La Nouvelle Revue française et ce jusqu’en 1940, pour 49 contributions essentiellement consacrées aux cultures étrangères de langue allemande. Mais l’arpenteur des archives nationales qui y a longtemps cherché les Origines de l’esprit bourgeois en France, son maître essai publié dans la « Bibliothèque des idées » en 1927, n’aurait pas dû pour autant se retrouver aux côtés de Fargue si l’un et l’autre n’avaient été les amis proches de Jean Paulhan qui les a considérés comme des revuistes de premier ordre dans ces années surréalistes. C’est d’abord autour de Commerce (1924-1932) dont le trio directeur officiel, Fargue, Larbaud et Valéry, était doublé par un comité officieux autour de Paulhan avec Saint John-Perse et Groethuysen. Si Fargue occupait la position intermédiaire entre ses deux comparses, Groethuysen permettait à Paulhan l’ouverture décisive sur le monde des idées et la littérature de langue allemande. Disons que l’un et l’autre engageaient le commerce littéraire dans un espace à la fois plus vaste et plus protégé des soubresauts de l’époque. La revue de Marguerite Caetani (1880-1963) a scellé les liens autant sinon plus que la NRf puis la revue Mesures d’Henry Church (1880-1947) à partir de 1935 qui voit Fargue et Groethuysen au sommaire du numéro 1, le premier pour ses Réveils et le second pour un compte rendu.
« De tous les hommes que j’ai rencontrés, c’était celui qui imposait le plus certainement l’idée du génie intellectuel. Mais il n’attachait pas d’importance à ce qu’il écrivait. C’est le seul cas que j’ai connu de génie oral. […] Je l’ai rencontré un jour avec Heidegger et quelques farfelus : il dominait de haut ! Socrate avec Platon… C’est peut-être l’homme que j’ai le plus admiré. Autour de lui, on était comme des hannetons, on vrombissait… » Ainsi évoqué par André Malraux en 1972 (Jean Lacouture, André Malraux. Une vie dans le siècle, Seuil, 1973, p. 163), l’ami « Groeth » dont la compagne Alix Guillain s’occupait de publier jusqu’à Moscou les écrits philosophiques de Marx, rejoint-il la ménagerie de Paulhan… Plus certainement peut-il partager une « vie de sauterelle soudanaise » et donc s’entendre avec le « Cascaphore, ce phanodorme des nuits vertes », cher à Fargue. Cette oralité du penseur soulignée par Malraux n’est-elle pas aussi celle du poète Fargue qui ne cesse de « disparaître » – de refuser les assignations.
Le texte de Groethuysen, par son dialogisme subtil, vient dire la complicité des deux hommes exactement au point de rencontre des deux écritures pour défaire le traditionnel rapport des mots et des idées, de l’expression et de la pensée. Les métamorphoses de la confusion proposées par Groethuysen soulignent le travail critique de Fargue, sa « géographie secrète » qui fuit les schémas de l’époque et ses « salles de police tainiennes », pour leur préférer l’invention du « vacarme » poétique, son silence de « haute solitude ». C’est peut-être bien plus par ce point éthique que Groethuysen et Fargue ouvrent leur amitié dans une pensée relationnelle qui continue jusqu’à nous, plus que par les rapports de la « Pouasie » et de la « Filousophie » se partageant « la Cité ». Eux marchent bras dessus bras dessous en « vagabond[s], toujours riche[s] d’une âme de vingt ans » et savent pertinemment que « L’hippocampe suspend comme une anse d’aiguière / Une grimace en fleur à l’oreille de l’eau. » Les « géographies secrètes, par les matières singulières » font la relation jusque dans le poème comme le fiacre « fut à l’hippocampe ce que l’homme fut au singe ». 

mercredi 2 novembre 2011

Cacophonie vs. polyphonie ou la musicalité de tout dans l’œuvre poétique de Caroline Sagot Duvauroux


Le texte qui suit a été écrit pour une revue universitaire dont la thématique reprend la formule mallarméenne du "défaut des langues". On peut lire un entretien avec l'auteur publié dans la revue Le Français aujourd'hui à cette adresse: http://martin-ritman-biblio.blogspot.fr/2012/08/caroline-sagot-duvauroux-ou-la.html



[…] les choses existent, nous n’avons pas à les créer ; nous n’avons qu’à en saisir les rapports ; […]
Stéphane Mallarmé, Réponse à Jules Huret, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1945, p. 871.

et toujours au bord d’un addad

Caroline Sagot Duvauroux, Aa journal d’un poème, Paris, Corti, 2007, p. 216.

L’œuvre de Caroline Sagot Duvauroux[1], née en 1952, se déploie publiquement au cours de la première décennie 2000 en six livres publiés aux éditions José Corti
 : Hourvari dans la lette en 2002 ; Atatao en 2003 ; Vol-ce-l’est en 2004 ; Köszönöm en 2005 ; Aa Journal d’un poème en 2007 ; Le vent chaule suivi de L’herbe écrit en 2009[2]. Il faudrait y ajouter le travail important accompli depuis au moins 1995 avec la peinture et les livres d’artistes en particulier au sein de la maison d’édition installée à Crest dans la Drôme et animée par CSD et Michel Anseaume, Les ennemis de Paterne Berrichon[3]. Toutefois ces six livres, lesquels reprennent un certain nombre des publications antérieures, constituent un ensemble qui peut se lire comme un livre continué, une expérience en cours dans son continu même : la force d’une voix qui refait la poésie et au-delà la littérature, le monde dans cette première décennie 2000.
Plus précisément, c’est l’hypothèse que j’explorerai ici, avec une œuvre comme celle de CSD le poème remet en mouvement le dualisme de la querelle cratylienne puisque la motivation n’est pas de la langue, mais du discours au sens d’une subjectivation dans et par le langage[4]. De ce point de vue, le poème obligerait à tenir ensemble arbitraire et motivation et non à les opposer pour soi-disant sauver le poème quand ce dernier n’a pas besoin qu’on torde Platon et Saussure pour confondre arbitraire et convention, motivation et réalisme, le tout sur fond de signisme[5]. Avec le poème, comme plus grande attention au langage, à tout le langage et au tout du langage, « la nature n’est plus ce qui vient au langage, mais ce que le langage en fait. La nature y est la prise que le discours a sur elle[6] », comme l’écrit Henri Meschonnic qui ajoute par ailleurs que « le poète est un homme qui mène une parole jusqu’à la fable, le mot jusqu’au principe du monde[7] ». Ce que fait exemplairement CSD depuis au moins 1995 en peinture ou littérature : « J’aime le mot œuvre, il contient beaucoup plus l’infini de l’activité que l’acte achevé[8] ». Ce qui me permet d’observer ici ses tentatives non d’épuisement mais de relance de la parole dans sa pluralité même où s’aperçoit qu’« au défaut des langues », le poème ouvre à l’altérité et donc à la relation comme critique de la littérature, de la poésie, de la langue et du monde tels que construits dans les opérations culturelles, sociales et politiques.
Le paradoxe qu’explore spécifiquement CSD montrerait que la cacophonie fait plus leur devenir qu’une polyphonie maîtrisée maîtrisable. Cette dernière resterait dans l’instrumentalisme et donc la reproduction d’un accord quand la relation chaque fois spécifiquement déplace infiniment le rapport entre l’histoire, l’individu et la société : l’invention d’un (dés)accord comme relation désaccordée de ses termes que la culture voudrait déjà toujours là dans un « il y a » établissant voire confortant une rémunération des langues quand le poème augmente le au défaut des langues, la « défaillance » (H, 53), sa signifiance dans et par le rapt du y, « l’inconnue[9] » : « Les pieds de mon poème sont sales c’est obligé : marcher » (K, 142). Et alors : « il n’y a que genèse mais l’exode est premier » (K, 117).
Ce défi que fait le poème dans et par l’œuvre de CSD est d’abord la reprise à nouveaux frais du défi de Mallarmé au mallarméisme même, il ouvre à un charivari dans les Lettres pour augmenter l’entre de l’appel que chaque poème fait entendre et donc la voix emportée dans un vacillement de la relation.

Cratyle (n’)est (pas) Cratyle ou Mallarmé (n’)est (pas) Mallarmé
Les emprunts à Mallarmé font souvent massue – ce dernier terme de Ponge qui savait ce que Mallarmé voulait dire (pour lui) : « une massue cloutée d’expressions-fixes, pour servir au coup-par-supériorité » (Œuvres I, Gallimard, p. 182). Ils le font d’autant que leur frappe fait vite formule dès que la lecture isole – c’est le propre de la formule qui court les rues et les articles. Souvent il suffirait de (se) situer : non seulement ranger la massue dans l’abri guerrier ou ladite formule dans son contexte mais également reconsidérer la formule dans sa diction – son discours au sens de Benveniste. Il s’agissait quand le vers s’est vu rémunérer « le défaut des langues » d’une défaillance « à exprimer les objets par des touches y répondant en coloris ou en allure, lesquelles existent dans l’instrument de la voix, parmi les langages et quelquefois chez un ». Et ces « touches » ne peuvent en langue (ou « idiomes ») se trouver que sous des « termes » quand en discours – mais je reconnais qu’il faut passer de l’emploi rhétorique que continue Mallarmé à l’emploi anthropologique qu’il suggère néanmoins – c’est le vers qui s’engage comme « complément supérieur » jusqu’à ce que ce dernier « rémunère le défaut des langues[10] ». On a souvent réduit ces propos à la formule séparatrice qui couperait de manière rédhibitoire la langue poétique ou « essentielle » des autres et surtout de l’ordinaire quand Mallarmé poursuit et n’arrête pas : il lie entre autres ce « complément supérieur » à la subjectivitation d’une « prosodie » personnelle associée à « l’acte poétique » qui fait rimer ses « motifs » jusqu’à cette « intégrité » ou spécificité, c’est-à-dire valeur : « le poëme, énonciateur » et son « vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cet isolement de la parole : niant, d’un trait souverain, le hasard demeuré aux termes malgré l’artifice de leur retrempe alternée en le sens et la sonorité, et vous cause cette surprise de n’avoir ouï jamais tel fragment ordinaire d’élocution, en même temps que la réminiscence de l’objet nommé baigne dans une neuve atmosphère[11] ». De la langue au discours, le changement de point de vue s’opère dans et par l’activité anthropologique et artistique du poème que CSD concentrerait dans une formule parmi bien d’autres qui ne cessent de faire reprises ou mise à jour dans des historicités qui exigent l’historicité des lectures : « L’incantation défie le nom des choses. Le nom clos des choses closes » (H, 36). La voix ne dissocie pas l’altérité de l’identité et donc évite l’aporie du même et du différent pour lui préférer le mouvement, la relation :
Ah ! fuir encore plus fort et plus habilement mais ni l’autre ni moi. Je suis, je fuis, l’autre est partout. Non. Fuir ce qui d’ordinaire dans mouvoir se choisit. (H, 97)
On ne choisit pas ses débuts. Ils vous choisissent parce que « le livre ne se fait qu’en se faisant dans l’immédiate portée de voix » (Aa, 228).

L’orée de l’œuvre ou un charivari dans les Lettres
Une œuvre commence publiquement avec un livre dont le titre, Hourvari dans la lette, résonne dans l’étonnement et, à la relecture, dans l’intempestivité car il faut prendre au(x) mot(s) le défi d’un tel titre : si l’expression est comme expliquée en quatrième[12], elle n’en demeure pas moins énigmatique et suggestive puisque s’entend bien quelque chose comme un charivari dans les Lettres et donc une écriture carnavalesque « à folle allure »[13]. Je me contente ici de la fable de l’orée dès l’ouverture de ce premier livre d’une série en cours chez José Corti. C’est l’aube d’une danse ; c’est l’orée d’un rythme dansé :
la jeune fille danse
et c’est lever de jour
avec tout et parties
et c’est constellation
car elle se lève avec
tous les mots sidérés
qui s’accrochaient aux langues
par ourdir et tisser
le silence qu’elle rompt
troisième fée incandescente
qui rompt l’incandescence
l’estrope du mot dû
et les articulations

vient défaillir alors
où ne sait plus qu’attente
la jeune fille creuse
de celui qui viendra
l’appellera lui dira quoi

elle dit quoi j’avais trouvé quoi déjà que j’ai perdu depuis

elle lève les jambes
[…] (H, 9)
L’œuvre s’inaugurerait ainsi : si « la jeune fille danse » alors la copule d’un racontage (« c’est ») s’ensuit (l’engrenage du « et » biblique porte le phrasé à hauteur d’une épopée de voix) et l’ancrage déictique de ce présentatif vient comme situer la voix engagée au cœur d’une relation qui emporte à la fois dans un monde partageable et une parole échangeable – c’est la même chose certainement [14]. Il faut suivre un tel mouvement au plus près d’autant qu’il emporte l’œuvre entier : une prosodie y fait un phrasé qui y fait un rythme qui y fait un poème qui y fait un sujet-relation dans et par l’arrachement « aux langues ». La danse de cet arrachement est un « se lever » général : le désamarrage est le geste premier sans cesse répété de ce poème et il situe toute la poétique dans l’appel au sens que j’ai tenté de dire pour un autre poète Bernard Vargaftig mais ici avec une force décisive dans l’écoute de sa propre pluralité-altérité. Le « quoi » dans ses reprises ne se résout pas en une question ou un questionnement – le poème s’arrêterait à la station philosophie – mais libère un appel ancré dans l’interlocution directe, dans la cheville amoureuse d’un tutoiement généralisé interpelant l’autre mais aussi le monde et jusqu’au silence, dans l’infini d’une demande sans limite, d’un impossible sans définition.
Car il y eut le vent l’été dont elle fit provision. La neige est là. Et le bleu du cahier. Issu. Il y a le trou que fit un jour le poème et qui va jusqu’où il faut être. Au cœur. Avec le lys en la volée d’oiseau. Où il faut être. Mémoire retournée. (H, 32)
Le retournement n’est pas un retour à. Mais un ressouvenir en avant à la Kierkegaard en trouvant à même l’expérience singulière d’une telle écriture les conditions de la reprise « où il faut être » jusqu’à réécrire Balzac en poème (Le Lys dans la vallée) et surtout l’appel d’air du trou-poème : sa paronomase généralisée (je souligne mais il faudrait multiplier le tuilage paronomastique et sa dispersion infinie-tésimale) :
Le poème s’il fut
fut d’abondance et d’abandon
gloire au ban donnée
et s’il a trop pleuré le bateau la navrance
des aubes déferla sur mon ventre
avec jouir et condouloir (H, 54)
C’est ce que CSD nomme « le coup du poème » (ibid.) sans que ce dernier ne tombe dans une quelconque réduction de « l’impossible à l’illisible » (H, 55) parce que « le continu ne peut finir » (H, 59) et que « rien ne transcende rien » (H, 61).
Aussi, CSD inaugure son « Livre » par ce pas, « ce fut danse » (H, 111) – c’est l’excipit du livre qui suit sa circonstance écrite que je lis comme essai de situation dans et par l’épopée de voix : « où laissée » (ibid.). Le pronom relatif par son antécédent (« la blanche attente » qui répond à « l’attaque noire ») ne résout pas l’attribution définitive du sujet certes féminin mais pour autant à venir dans et par la lecture désormais ouverte par ce charivari dans les Lettres car il n’est plus de dé-finition qui vaille puisque :
Ah ! fuir encore plus fort et plus habilement mais ni l’autre ni moi. Je suis, je fuis, l’autre est partout. Non. Fuir ce qui d’ordinaire dans mouvoir se choisit. (H, 97)
La fuite par poème n’est pas une désaffection mais l’augmentation et l’intensification inouïes d’une altérité radicale et donc d’une relation sans cesse au travail hors termes puisqu’emportée : la danse, la jeune fille, le pas du poème font charivari dans les Lettres et dans les lettres, c’est-à-dire littérairement et littéralement : quelle langue choisie, connue, stabilisée tiendrait un tel défi d’autant qu’il résulte de « l’envie d’un danger coulant sur la littérature » (K, 34) ! Aucune langue, autrement qu’à se perdre ! Alors CSD refait le français dans toutes les langues ou plus précisément invente le poème hors langue par toutes. Est-ce rapporter le poème au traduire ?

La nomination dans l’appel ou le merci dans l’entre
Que se nomme s’entend-il quand un magyar dit köszönöm ? Il y a un défi fait à la traduction dans l’œuvre de CSD : traduire n’est pas tirer du sens à partir de l’incompris mais « s’étonner » (K, 21) pour que « sans préalable / touche venir » (K, 20). Un livre au titre qui écorche nos prononçables commence par défaire le traduire : Avant que tard dire en courant (K, p. 7) qu’on peut lire « avant de traduire en français courant » non comme on l’entend habituellement mais comme l’exigence du poème : ce paradoxe est au cœur de l’œuvre de CSD. Le français courant ou la langue se mettant à courir dans l’écoute de ce que l’étranger lui fait faire : voilà, par exemple, ce livre (au titre) étrange qui engage une politique de la langue en poème contre les assignations purement linguistiques : « On entend Que ce neume et c’est merci » (ibid.). Comme d’un souffle et c’est traduit !
Ce mot-titre qui dit donc littéralement merci en hongrois vient ici par le « déploiement » (K, 138) du poème augmenter les résonances d’un tel souffle sur plus de 157 pages d’un livre mais il faudrait certainement concevoir le livre comme le chantier ouvert par tous ces livres qui font un en cours du poème de l’appel. Les résonances (s’)ouvrent une politique linguistique qui est aussi une anthropologie poétique où la langue est arrachée à quelque identification que ce soit. C’est ce qu’il faudrait essayer non de suivre mais de vivre car aucune somme de savoirs ne s’en déduirait même en hypostasiant l’écriture d’autant que CSD fait un leitmotiv d’une genèse toujours rapportée à l’exode (par exemple en K, 11). Aucune hypostase de l’écriture même puisque c’est le mouvement de l’écriture qui porte l’écriture et non l’inverse tout comme c’est le souffle qui porte le traduire et non l’inverse :
Je noie ce que j’écris dans ce que j’écris. C’est de la vie qui passe. (p. 78)
L’écrire de CSD s’exerce à la défaite de tout réalisme dans et par la recherche d’un nominalisme actif à condition qu’on entende ce dernier comme une énonciation s’augmentant de ses appels sans termes « pour ne plus savoir de nommer qu’appeler » (Aa, 217). Les variations formulaires prises au mouvement pensif du poème de CSD attesteraient une telle affirmation par trop péremptoire quand le poème se refuse à asséner quelque vérité ; parmi d’autres : « Je ne veux pas désigner pour être comprise mais pour approcher, pour que m’approche » (K, 19).  De la compréhension à l’approche, le poème n’épouse aucune nostalgie linguistique ou déploration métaphysique ; il s’exerce toujours à une éthique du coup par coup « jonglant avec de minuscules déflagrations » (K, 20). Il ouvre à un étonnement toujours proche de l’expérience « comme dans les contes et dans l’amour » (K, 59): le poème cherche « comment dire sans dévoyer les mots dans la séduction ou la crapulerie » (K, 26).
Le traduire de CSD n’est donc pas le passage d’une langue à l’autre mais l’emportement discursif au sens anthropologique qu’a initié Emile Benveniste. Une formulation qui rime par les deux bouts engage ce mouvement traducteur : « L’annoncée ne se lève pas du tombeau général de l’énoncé » (K, 29). Disjoindre radicalement le sujet à venir de tout objet propositionnel assertif ou plus simplement le dire du dit, c’est porter toute l’écoute vers l’épopée d’une voix qui « tyrannise la langue pour s’échapper de langue et rejoindre le vent. Des mots tombent de l’écho » (K, 30).
Le risque est grand alors de tout perdre dans cette dérive où « ce n’est pas pour faire poème qu’on coupe sa phrase mais parce qu’on ne sait pas ce que je ne sais pas qui est entre » (K, 52). Cette traduction au sens d’un transport du je au on oriente tout le discours comme transsubjectivation vers un impersonnel radicalement discursif si ce n’est historique : « qui est entre ». Alors le transport devient rapport puisque c’est « qui est entre » qui prend toute l’écoute, toute l’écriture même au point d’en constater que : « Dans les poèmes le silence grandit. On dit dépouille et d’un mot l’esthétique est éthique » (K, 28). Traduire comme rapport opère un balbutiement où « je balbutie de peur pas du tout de principe. Je ne sens je que fondu dans le désir d’arrachement. Et d’abolition » (K, 59). Alors « chanter c’est parler étranger. Très » (K, 60). L’intensif refait la phrase à partir du phrasé (« étranger.Très ») et indique la dimension d’inconnu de l’expérience telle qu’engagée dans et par le poème (« Eveil par non appris », K, 60).
Mais on a gardé quelque chose : la certitude de n’être qu’en relation. Comme dans les contes et dans les pays pauvres. (K, 37)
 A ce point, le poème de CSD engage à proprement parler une anthropologie relationnelle qui associe poétique et politique au plus près du mouvement propre au poème réinventant d’ailleurs ces derniers domaines qu’on ne peut maintenir dans les anciennes notions.
 
La voix dans le vacillement ou la relation dans le tu
Il y a avec CSD un pari à tenir : L’essor d’une voie : une voix (K, 17). L’homophonie n’est pas un jeu de mots mais un déploiement de poème puisque « l’espace déployé défait les œuvres en conservant le déploiement pour l’œuvre » (Ibid.). Ce travail du déploiement dans l’œuvre de CSD serait la tenue conjointe d’une volubilité et d’une retenue. Je prendrais pour seul exemple ce fragment d’un alinéa :
Halluciné de fatigue, on griffonne trois mots pour ne pas oublier la pensée qu’on a eue dans le déploiement. Mais la pensée devait être dans ce qu’on n’a pas noté, dans les virgules et les temps. Dans le déploiement. Il ne reste plus qu’une liste de mots qu’on précipite. (K, 138)
Trois brèves lignes en italiques centrées le précèdent en six groupes (de souffle ?) séparés par des barres. Elles engagent un phrasé interrogatif sur l’attaque consonantique en /k/ :
Qui et qui sont / ceux qui s’en vont ? / quoi et quoi ? / ce qui s’en va / des camarades ? / qui viennent ? (K, 138)
L’alinéa est suivi par deux pages et demi de texte justifié à gauche et de corps beaucoup plus petit que les deux paragraphes précédents, le tout sur l’air d’un monologue conté[15] (rêvé, fantasmé ? avec, entre autres, la Belle et la Bête qui prend l’eau dans la mer rouge pour devenir l’oiseau bleu et se demander « pourquoi près c’est si loin ? »). Y est souligné le fait qu’« il nous faut être deux pour les métamorphoses » (K, 139) tout comme continûment « le poème marge le conte, ronge où il peut » (K, 137). Là encore c’est l’appel qui emporte ou, plus précisément dans les termes de CSD, « ce qui m’appelle que j’ignore » en se demandant successivement s’il s’agit de « la vase au fond des contes » ou des « couches d’eau du poème » (K, 84).
Que ce soit d’un point de vue générique ou d’un point de vue compositionnel, les pôles convoqués n’offrent aucune contradiction ; ils organisent une tension pour laisser résonner le mouvement même de la parole dans et par le poème. L’élargissement (on passe de trois mots à « une liste de mots qu’on précipite ») est aussi un resserrement (« il ne reste plus que ») et l’inverse car « si nous sommes le chemin, oublions-le vite pour encore une fois revenir les bras pleins » (K, 151) :
Alors en attendant qu’explose une fondrière avec le sens et l’ombre et l’intelligence et le désir, on rend le texte à l’obscur dans la délicatesse et la tristesse, afin d’en laisser croître les secrets qui font leur chemin, afin de préserver l’herbe et les rouages s’essayant à la machine langue comme on dit. Il n’y a pas de voix nouvelle mais d’homme à homme chaque voix est neuve. Alors on devient homme d’un jour dans la probité, un homme parlé par langue d’homme ce jour et jusqu’à dire ah voici le jour ou voici la nuit et c’est plus que le jour qui fut, te le dire. On laisse œuvrer les failles transformantes et les lisières car la langue ne sait pas revenir sur tout, la langue ne sait pas revenir au surgissement dont elle vient, la langue toujours fut et pourtant toujours grogne en sourdine : j’y arrive, j’y arrive. (K, 151-152)
Le syntagme te le dire resserre au plus juste le dialogisme fondamental qui fait le cœur de l’énonciation par poème de même que Benveniste parlait de celui qui anime le langage dit ordinaire (« Dire bonjour tous les jours de sa vie à quelqu’un c’est chaque fois une réinvention »). On voit par là comment CSD ne cesse de rapprocher politiquement et éthiquement le poème de l’expérience possible pour chacun du nouveau dans et par le langage : une telle expérience est désarrimée des postulats volontaristes voire sacralisants. Il s’agit d’attendre, de laisser croître, d’écouter la pluralité toujours au cœur de tout même quand il semblerait qu’un super-sujet (« la langue ») advienne puisqu’elle se met in fine à hésiter (« en sourdine ») ou à insister (« j’y arrive, j’y arrive ») – ce qui est peut-être la même chose renversante dès que relation. Aussi, « tous les livres se referment et dans les livres refermés, tous les mots se taisent en respect farouche du tu » (K, 154) : l’éthique emporte toute esthétique dans la relation éperdue où la poésie comme le poète deviennent ordinaires par leur force même :
Et voilà que le mot converti par le silence à ton souffle futur peut attendre et le veut, toi, moi, prochain matelot, premier brigand qui fendra le rocher, le livre enchanté. Aucun livre n’oblige, tous sont les obligés de celui qui lit. (K, 154)
C’est à ce point éthique qui engage le lecteur à hauteur de poète et le poète à hauteur de lecteur que la poétique de CSD me semble se resserrer dans des formes de vie et des formes de langage emmêlées qu’un mot valeur intensifie dans leur interaction même. Une séquence centrale au livre Köszönöm permet d’en suivre le fonctionnement au plus près. Le motif de l’orée l’ouvre aussitôt suivi par celui du cheval certainement emprunté à l’écrivain norvégien Tarjei Vesaas (1897-1970) dont le roman Les Chevaux noirs (1928) est emblématique :
Et voici le jour

Quoi ( ?) se lève sous le sabot d’un cheval qui se trouve justement [] sous la blessure de la jambe du cheval de Vesaas près de la barque tardive qui suffit bien oui mais voilà (K, 80)
S’en suit un récit emporté par son récitatif onirique non sans effroi jusqu’à ce que :
Et voici la nuit
Et voilà que tout vacille
Et voilà qu’une se lève pour entonner ses images dans la nuit
Et voilà qu’en moi tout vacille (K, 82-83)
Le vacillement caractérise ici une physique du langage : « La bouche plane beaucoup de choses planent » précède le fragment ci-dessus et indique bien que le récit est entièrement porté par le récitatif – ce que montreraient à l’envi les lancées raconteuses (« et voici » ; « et voilà ») jusqu’à cette coda dont l’énonciation impersonnelle (« on ») nous emporte au plus intime du conte, dans le conte du poème ou le poème du conte, sa voix éperdue :
[] On sait très bien que ça vient Tout plane depuis si longtemps On ne veut pas écrire dans la langue d’un enfant on veut marteler sonner cuivrer le chahut tendre l’arc à la parole et s’occuper de vérité mais seule la langue d’enfance apprivoise encore le vacillement On a blessé quelqu’un qui vous regarde blessé On ment comme un enfant on dit j’ai touché la forêt profonde on est resté dans la clairière près de la maison du potier On habite le frisson on est en prison du frisson sans même les barreaux à scier si loin de la parole claire dieu qu’on a peur À toute allure quelque chose dans la tête cherche partout dans une porte On voit de la lumière mais elle bondit trop vite dieu qu’on a peur dans l’ombre qui grandit sur l’herbe affolée Si au moins la lâcheté n’était pas un péché S’il s’avérait qu’un son très pur s’élève de cette fange et dire
Mon bien-aimé voilà que mon bien-aimé

mais je ne me souviens plus

Et voici que la nuit s’achève
Et voilà qu’une s’endort
Et voilà qu’en moi tout vacille (K, 83-84)
Le poème oscille et fait osciller tout ce qu’on croit qu’on sait non par l’argumentation logique ou la composition rhétorique ou encore par un quelconque devoir de mémoire qui fonderait la poésie en mnémotechnie, comme on le répète. L’oscillation qui n’est pas sans évoquer la culture enfantine des rondes et autres comptines déboussolantes s’accompagne aussi du chancellement au sens d’un inaccompli toujours en cours : et voilà tout va… scintiller mais faiblement quoique merveilleusement. Cette faiblesse constituerait justement la force dernière du poème en demandant qu’à la visée polyphonique on accepte un devenir cacophonique au risque de tout perdre, certes, mais peut-être de tenir alors la musicalité de tout[16] à condition de ne pas métaphoriser immédiatement en musique. C’est pourquoi la proposition apparemment incongrue de CSD est peut-être ce qui fait la force d’une telle écriture jusque dans sa poétique sauvage, si je puis me permettre :
La polyphonie est trop arrangée trop sublime pour la vérité. Cacophonie va mieux, je suis désolée. L’irrécupérable est aussi le boulot de la poésie. (Vent, 108)
Le poème de CSD alors même qu’il ne cesse de se nourrir de savantes études, de savoirs innombrables et surtout d’expériences merveilleusement reconsidérées n’en parie pas moins contre le poli pour le poly, contre le sublime pour le kakos. La voix dans sa pluralité même du poème blesse l’oreille trop éduquée, cultivée, qui sait se mentir à elle-même, quand la voix en poème inclut tout ce qui non seulement la nourrit mais en constitue le cœur battant :  ses consonances mêmes dissonantes, ses résonances mêmes repoussantes. Toute une politique du poème (« Les verbes sont à tous », Vent, 185) s’y entend alors de manière cacophonique, de faim à fin par exemple et ad libitum, dans ce moment clausule du même livre récent où l’apocope signe le vacillement généralisé du poème :
Fêt’ en faim

La rue la hord’
Pétéchies de pest’ noir’
Mèr ‘ goutt’ et berlue
Gourm’ à la têt’
Proie moie de moi
Même si
Bande plus que d’un’
Ta baston ma fill’

En pist’
Tiqu’ teign’ tarent’
Mes stars
Et poul’ et l’oie
Lamie qual’ et guêp’
Basse dans’ et gaillard’
Jusqu’au tourdion mes sœurs
d’et cætera de vie (Vent, 188-189)
CSD insiste sur « la lame de fond, l’étrange broussaille de sensations, analogies, qui afflue » (Vent, 109). Pour laisser « flotter au bord du néant des friches de langues ou d’histoires qui s’entêtent comme du chiendent » (Ibid.).
Savoir quoi que ce soit indiffère la poésie tant l’inquiète la venue. C’est un truc pour paresseux, pour idiots ou pour fidèles. Ce qui est presque dire pour tout le monde, juste pour tout le monde. La poésie est tellement à tous qu’elle n’est plus respectable et voilà ce qui effraye car il faudrait s’y risquer, aller aux putes : lire. (K, 114)
L’œuvre de CSD, si elle nous engage « au défaut des langues » avec Mallarmé, nous met également en défaut dès que nous oublions de « lire » (avec Mallarmé) « la musicalité de tout », c’est-à-dire avec CSD « un autre ordre qu’un ordre » (Vent, 107).



[1] Dorénavant : CSD.
[2] Dorénavant, les citations seront référencées en indiquant seulement le numéro de la page après les abréviations suivantes : ; At ; Vol ; ; Aa ; Vent.
[3] Je retiens parmi quelques autres chez Les Ennemis de Paterne Berrichon (Crest) : In petto, 1999 ; Comment dire ?, 1999 ; Les laissées, 2000 ; Une boussole pour Annie, 2002 ; La Tuade, 2002 ; Ich 2 ; Magnificat (avec Jean-Paul Héraud), 2009.
[4] Je renvoie à Langage et relation Poétique de l’amour, Paris, L’Harmattan, 2005.
[5] Sur cette notion qu’on ne peut limiter à la période 1945-1968, et donc au structuralisme, comme le propose Robert Estivals (Signisme. L’histoire du schématisme, t. 1, Paris, L’Harmattan, 2010), voir Philippe Païni, « Pour en finir avec le signisme », Résonance générale n° 1, L’Atelier du grand tétras, 2007. Ce dernier part de Henri Meschonnic, Le Signe et le poème, Paris, Gallimard, 1975.
[6] H. Meschonnic, « La nature dans la voix », préface à Charles Nodier, Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises, Trans Europ Repress, 1985.
[7] H. Meschonnic, « Non mots mais phrases » (1970) dans Pour la poétique II, Epistémologie de l’écriture Poétique de l’a traduction, Paris, Gallimard, 1973, p. 149.
[8] CSD, Voir le ciel en marche et le blesser des blés qu’on fauche & Il n’y a rien à trouver en peinture, Crest, Les ennemis de Paterne Berrichon, 1995, np.
[9] « […] Trahie par ma parole j’ai cédé qu’elle dise avec ce qu’elle dit. Tout à fait au rebond des parois. Avec écume et bateau de bouchon. Être si attentif et dépourvu, si justement posé rien qu’un jour dans le monde que l’œuvre en soit l’essor. Intégrant l’inconnu. L’inconnue y délivre un petit jour. Ne réduit pas les développements de la nuit, non, lève autre chose sans équivalence : la lumière. L’autre face. Entre jour et nuit l’y besogne pendant que tourne le monde. […] » (K, 17).
[10] S. Mallarmé, Œuvres complètes, 1945, p. 364.
[11] Ibid., p. 368. Il s’agit du paragraphe conclusif de « Crise de vers ».
[12] « Hourvari dans la lette, disent les chasseurs pour dire qu’en fuyant la nuit des carniers, tu fus, chevreuil, acculé par l’océan à volte-face, à préférer les crocs, emportant d’océan jusqu’exploser le cœur : les requins, le galop des marées, le grand bœuf tacheté et la mort des marins » (quatrième de couverture – texte repris à la dernière séquence du livre : H, 101)
[13] Je reprends ici le titre d’un catalogue réalisé en « mémoire des œuvres éphémères et évolutives de Gérard parent et de Caroline Sagot Duvauroux sur les murs d’Espace Liberté. Crest – Eté 1994 », Edelweis noir & les Ennemis de paterne Berrichon, Crest, 1994.
[14] Voir à ce sujet : Rabatel Alain. Valeurs représentative et énonciative du « présentatif » c'est et marquage du point de vue. In: Langue française. Vol. 128 N°1. L'ancrage énonciatif des récits de fiction. pp. 52-73.
[15] Je ne peux m’empêcher d’évoquer ici Ingeborg Bachman avec laquelle CSD partage le goût prononcé des mélanges du conte et du poème, non comme genre mais comme aventure dans et par le langage où l’oralité est à son comble, comme avec les impardonnables qu’évoque Cristina Campo.
[16] S. Mallarmé, Œuvres complètes, op. cit., p. 645. Mallarmé écrit exactement ceci : « Son sortilège, à lui [« l’art littéraire »], si ce n’est libérer, hors d’une poignée de poussière ou réalité sans l’enclore, au livre, même comme texte, la dispersion volatile soit l’esprit, qui n’a que faire de rien outre la musicalité de tout ».