samedi 3 mars 2012

nous (r)irons en Laponie (avec Dotremont)

La très belle exposition "Christian Dotremont Logogrammes" au Centre Pompidou qui s'est tenue du 12 octobre 2011 au 2 janvier 2012 et son catalogue dans la collection "Cabinet d'art graphique" m'a donné l'occasion de relire l'oeuvre de Christian Dotremont et de me souvenir de sa "terre d'élection" : la Laponie (voir l'autre exposition de 2011 : "Ici, ma terre d'élection: Christian Dotremont et le Nord" au Lönnström Art Museum à Rauma en Finlande).


Voyage du quotidien qui n’était plus le quotidien, et d’autant plus que je voyageais avec elle – Où ?
– Où je ne voyageais qu’avec elle, près d’ici, autrement loin, ailleurs, de toute façon, même ici ou je meurs.

[Christian Dotremont (1922-1979), fin du logogramme « Diptyque », 1978 – dans Œuvres poétiques complètes, Mercure de France, 1998, p. 522]

Christian Dotremont in Lapland. Unknown photographer.

exagérer l’écriture cursivement
la doubler ou encore doubler l’écriture
cursive pour cursivement exagérer
enfin la perdre enfin perdre l’écriture
jusqu’à se retrouver dans le cursif
de l’écriture perdue éperdument cursive
voilà je me relis et trouve ce que j’ai écrit
ou ne trouve pas et alors je brûle mes papiers
au feu pour la perte des écrits illisibles ou lisibles
ces écrits ne m’écrivent plus voilà je me
redis l’écriture cursive exagérée
peut me redire alors j’écris finement
la légende au crayon à papier bien
lisiblement dans une écriture
cursive qui n’exagère plus
du tout parce qu’elle a déjà
bien assez exagéré
voilà tu me lis
enfin me dis-je
tu me dis
enfin me
lis-je oui
l’écriture
a eu
son
mot à dire
me dire à toi
ne médis pas l’écriture exagérée
cursivement je n’exagère rien du tout ou
plutôt l’écriture n’exagère pas elle
s’étrange un peu et l’habitude
tellement étrangère à l’étrange
illisible que je tu devenons
l’écriture transparente à travers
le papier non ce n’est pas du tout
Jure-moi de jouer, "snow-log", 1976. Photo Caroline Ghyselen.

illisible c’est étrange familiarité des transparences
je ne m’y reconnais plus ou plutôt je découvre tes doublures et avec
mon double ton inconnue s’écrivent nos étrangetés
s’écrivent contre tout ce qui veut écrire trop
vite le reconnu tout contre le reconnaissable le connu trop vite ton identité tes papiers et ton vécu sous mes catégories tes commentaires
le lu ou le lu trop vite
trop vite connu les deux parce que trop
vite écrit sachant avant d’écrire ce que la main écrit pas
la vitesse de nos volubilités elle sait trouver les retenues de nos volubilités
à l’envers ou sans savoir l’écriture nue toute noire prend nos mains toutes blanches
ta main oui elle écrit ma main tu me la donnes et je ne te vois pas la tienne
ma main écrit sans savoir ou ce n’est plus toi ni moi
ta main ma main écrit si elle écrit tout ton corps ta main me traverse
ma main n’écrit pas si elle n’écrit pas avec tes airs et tes histoires et je la laisse t’écrire dans tout mon corps il tombe dans ton corps de l’autre côté de la page
ma main ne rédige pas ta main me corrige et retourne la page pour voir
enfouie dans cette prairie de neige
et de lointain
l’écriture
de nos
silences
je finis les dessins-mots les peintures-mots
l’écriture devient ton paysage où s’écrire
c’est la relation de ton langage
tu tues les termes mon écriture devient sans
Or, les choses du paysage lapon hivernal, 1975, Indian ink on paper, Collection of the French-speaking Community of Belgium.

mots et sans dessins sans peintures et sans mots
nous commençons sur un champ de neige
dans un pays sans écriture connue
où est la relation pas à pas je roule dans tes déliés
à même le monde la terre le champ la neige tu me ligatures
puis avec les hommes qui marchent les hommes qui mangent les hommes
qui chassent qui ne calligraphient pas qui tracent leurs errements
leurs relations en écriture de pas de pas de lapons de laponie
et il neige dans l’encre noire dans nos traversées du blanc de nos draps
oui de nos drames de nos dramatricules
de nos voyages à dos de rennes où j’erre dans ton air
je lape tes lettres et tu racontes nos histoires anthropographiquement
tu dis et j’écris sur le cercle polaire de nos aimants
les enfants gribouillent longtemps les hommes
gribouillent encore dans tout le sens dessus
dessous l’écriture dans le premier gribouillis
dans le premier pas sur la feuille tombée
sur la neige fond le sens de toute création et relation
pas seulement direction prise nos gribouillages
ouvrent l’espace en temps et le temps s’espace
de l’écriture du sens de la vie ma vie ta vie en une seule
main tenue ta main dans la tienne peut tracer la lecture
elle apprend à lire où l’écriture a appris à lire
chaque fois sans savoir chaque fois
recommencée le mouvement exercé de la main
du sens qu’elle trouve à tout le corps à toute la vie
la vie grouille dans le sens de ta main
gribouilleuse l’écriture cursive exagérée de ma main
elle laisse les calligrammes aux donneurs
de sens elle abandonne la forme aux biens portants
ils ont du genre et du style d’époque
l’écriture cursive exagérée me naît
dans ta course elle naît ma naissance
essoufflée elle est le lieu de ta géographie
naissante je suis les logogrammes de ma naissance
en écriture cursive je cours l’écriture
de ta naissance donc je suis écrit
exagérément enlevé volé kidnappé happé
je suis la nappe d’un enlèvement
l’enlèvement d’une nappe d’être
quelques-uns remettent la table de l’identité
je secoue la nappe et lis les reliefs
de mon enlèvement dans la logorrhée
de tes gribouillis j’écris ma légende dorée
toute noire noircie dans ta neige
en plein commencement de Laponie
une danse inouïe de Sami en plein Paris
un pari sans coup férir un logogramme léger
léger comme les flocons de ton amour en Laponie
et lourd comme les pas de l’ours du sens
qui danse qui danse avec mes amis les Samis
mon logogramme est mon samizdat
pour des désaccordements pas du tout réaccordés
parce que je t’aime musicalement désaccordée
harmonieusement communiste décollectivisée
je t’aime en langue de demi-mots de bois fendu
de cœur percé de neige gelée de bâton lapon
en Laponie infiniment tu me géographies à l’envers
du poème nous (r)irons en Laponie à deux mains 

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