dimanche 28 octobre 2012

Le roman de la phrase (2)



Il recommence mais elle ne change pas autrement qu’à se déplacer dans d’infimes variations.

Elle se poursuit dans son recommencement. Il n’écrit pas son passé mais essaie de trouver son présent à hauteur de voix.

Il cherche sa géographie sans lui fixer de limites. Elle s’étend sans rien posséder. Elle n’a que son souffle.

D’un livre à l’autre il lui semble qu’elle change seulement de couleur. Il ne veut surtout pas en exclure le noir, sa couleur préférée parce que la nuit il la voit claire.

Il passe souvent en aphasie. Elle ressort plus lumineuse. Pas forcément en pleine lumière. Elle trouve même que c’est souvent obscur.

Si l’onirique et l’ethnologique s’associent, c’est qu’elle aime rêver son enfance. Il sait que la remémoration vient vite dès qu’elle s’obscurcit.
C’est une histoire de température constante alors même qu’elle goûte sa chaleur chaque fois qu’il augmente la vitesse amoureuse de son énonciation.

Le chemin creux de sa phrase au printemps fait comme un lit. Elle le lui a écrit parce qu’elle sait que le temps passe trop vite. Il lui a répondu que le chemin continue.

Il a écrit sur les chemins des marches qu’elle n’a cessé de poursuivre dans son lit.

Les traces de ses pas signent l’infime de ses voyages : il lui suffit à elle d’ouvrir une carte et elle lit tout leur périple sur son épaule.

Elle n’a besoin que d’un petit territoire. Il y répète toutes ses variations et y compose les constellations de leurs rapports.
Dans sa voix, elle ne peut que continuer son corps, à moins que ce soit sa danse qui la porte en chemin. Et lui, il court dès qu’il l’écoute, sa voix.

Il ne va plus au fond sauf si elle y a déposé la surface. Elle n’a pas plus d’intériorité qu’il n’a de costume. Ils jouent ensemble l’enfance de chaque phrase.

Elle peut se déplier comme un jardin. Il a pris soin d’entretenir les buis. C’est l’odeur qui les a unis dans la phrase humide pour ponctuer leur campagne.

Si le feu n’avait pas pris, elle l’aurait allumé avec son souffle. Il brûle encore dans sa voix même quand la phrase est essoufflée.

Sous la phrase, elle trouve des douceurs qu’il aimerait pénétrer pour sentir l’humus de ses litières.

Quand elle est en feu, il aime dormir hors du monde comme Emelia le benêt dans Oblomov qui dormait sur le poêle des journées entières. Que la phrase se taise, grogne-t-il.
Il sait bien que le clinamen ne l’écarte jamais de sa trajectoire : elle en a fait des éclairs d’œil pour qu’il goûte l’infime de ses gestes.

Comme les hirondelles de rivage, elle effleure ce qu’il ne peut qu’arrondir. Ou bien parfois un Lucrèce les fait se rencontrer dans son poème didactique.

On dit que c’est ce qu’il faut lire mais elle a des bouffées de liberté voluptueuse qui lui font lire une autre logique du sens : des enchaînements qui la font chanter.

Si la libre volupté l’oblige à renoncer, elle n’en exige pas moins qu’il exerce toute sa volonté pour la réfléchir, sa phrase.

Quand ils ont pris les toiles de Rothko pour des draps divins, elle lui a montré la frange que fait cette sorte de troisième couleur. Depuis, ses phrases sont toutes perturbées.

Chaque tableau est une plaie ouverte, a-t-il lu dans un essai. Elle a noté juste à côté de son commentaire : plutôt une baie qui nous appelle à la nage.
Nota bene : les oeuvres qui accompagnent le roman de la phrase sont ici de Mark Rothko

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