jeudi 27 septembre 2012

On n'a encore rien vu

Sabine Azéma et Anne Consigny dans le film français d'Alain Resnais, "Vous n'avez encore rien vu". | STUDIOCANAL/A. BORREL

vous n'avez encore rien vu
lorsqu'il eut passé
le pont
l'image lui passait par la tête
dans le texte
il dit impossible à atteindre

c'est un fait s'il veut filmer
librement la représentation
du même encore
trente cinq ans après cette vie
sauf que c'est avant
la mort en piste

toute l'image soi-disant séparée
dans la réunion dispersée en histoire
de rien
sans accord à l'oreille les plans
disparates
pour ne jamais rejoindre l'homogène dirigé

et chaque touche à chaque
tu viens là où je ne t'attends
pas
les éclats juste après
je suis visiblement
incohérent et tu es

dans le film
la densité d'une diction
la dureté en synthèse
des décors sans savoir
où ils sont en harmonie
nous jouons la fausseté

des voix du mensonge
l'artifice du paysage nous joue
une révélation d'artifice théâtral
le plan après le plan et tout d'un coup
ça dure
elle le porte

il l'emporte sans claquer la seule couleur
une façon de couler se laisser
dans l'eau du vrai décor
donné naturel impeccablement
rythmé trop bien
non le dérèglement mais

tes éclats dans mon délitement
en récitant la systématique d'un monde
très loin progressivement
dans l'émotion trouvée la chanson
contraste et coupe
dans nos surprises sans couler

et toujours entendre ce texte
incommode
dans nos décontenancements
avec les couleurs d'Hiroshima
complètement éclairé
et la neige dans la cuisine

pour faire sans voir ce qui se passe
au présent
on est frustrés dans les coulisses
toute l'époque d'un croisement
avec les couloirs d'un cimetière
aucun jugement de goût

le spectacle populaire avec ses
stars tu n'as rien vu dès qu'il y a
les intermédiaires
toujours ailleurs
la performance recommence
on n'a encore rien vu






lundi 10 septembre 2012

Sa vie à elle


Pierre Bonnard, L'atelier au mimosas



Il oublie souvent la date. Heureusement, elle a une grande sensibilité météorologique.

Ils s’exercent chaque jour à devenir des guetteurs attentifs  à ce qui vient. Leur phrase n’a ni jour ni heure mais elle sait parfaitement le temps qu’il fait.

Elle n’a qu’un temps intérieur. Il ne retient rien de ce qui leur arrive. Elle sait que ce n’est pas une histoire de souvenir. Ils écoutent ce que peuvent leurs corps.

La phrase se décante dans le poème. Alors elle le voit parfois rougir. Il a vu que tout recommençait par elle.

Elle a souvent le vertige devant cette énigme de bonheur qu’il lui propose. Une simple phrase leur suffit pour partir dans le vacillement.

Dans l’incertain, il multiplie ses expériences. Elle voit bien que c’est la même phrase mais chaque fois plus singulière. Elle ne s’y retrouve jamais autrement qu’emmêlée.

Elle n’a de cesse d’augmenter la proximité. Elle l’appelle souvent par son nom. Il aime ces répétitions de l’appel. Sa phrase gagne alors tout l’ici et perd de sa distance.

C’est tout ce qui l’entoure et qui pourtant ne semble pas digne d’intérêt qui compte pour elle. D’abord, l’ombre et la périphérie.

Avec sa phrase, il cherche plus à la sentir qu’à la décrire.

Elle fait la ronde et sur ses bords grossit considérablement tout ce qui les relie. Une prosodie qui emporte toute la syntaxe.

A deux, ils donnent immédiatement du relief à n’importe quel tableau et encore plus à la première phrase venue.

Aucun centre, dit-elle, surtout quand il multiplie les points de vue dans un même refus de la distance.

Les catégories qui découpent sa phrase flottent et chacune est au présent d’une relation qu’elle tient dans sa voix.

Elle n’a aucune limite autre que de s’arrondir de plus en plus. Il la laisse lui prendre la main pour guider son énonciation.

Aucun intimisme, pour elle, dans cette sensualité qui prend le grand air. Il a besoin de respirer son air le plus intime dans chaque phrase.
Pierre Bonnard, Nu dans le bain

L’un et l’autre se souviennent du saut de la biche par-dessus leurs ébats dans un creux lumineux de la forêt. Ils n’en reviennent toujours pas, leur phrasé saute de joie.

Avec les deux pronoms de la réciprocité, elle ne dissocie pas et raconte sans début ni fin.

Il a appris à la retourner en confondant intérieur et extérieur. Elle a désormais pris l’habitude de rester sur le pas de la porte et il lui fait la surprise d’arriver dans son dos.

Elle est incapable de supporter les chevilles ou alors ce sont elles qui font le sujet : c’est alors qu’il comprend ce qu’est une ritournelle.

Elle n’a pas d’autre intensité que dans chaque instant. Un communisme qui n’est pas pour le lendemain. Il se souvient de Ducasse.

La phrase chante de partout. Il ne s’échine à aucun couplet, tout est refrain pour elle.

Il a parfois peur qu’elle sature. Mais c’est en demandant toujours plus qu’elle l’amène à considérer ses moindre geste.

Elle lui demande la démarche inverse : ne pas maîtriser l’éblouissement mais dans l’obscur, voir ses clartés.

Alors elle ouvre ses réflexions autant que ses sensations à ce qu’il ne nommera jamais au risque de la perdre.

Ils ont appris à renverser le proche en lointain et l’inverse. Elle obtient alors non une perspective mais un enchantement.

Cette disparition du relief la rend plus souple et sans bord. Il n’est pas devant. Il en vient à proprement parler.

Il y a de l’affolement qu’il tente de cartographier. Elle ne sait pas lire les cartes. Ils aiment cette perte de repères pour mieux goûter ce qui vient.

La rime par les deux bouts c’est la joie. Elle le lui a écrit un beau matin.

En fin de compte, c’est le fouillis qui règne comme si rien ne devait être exclu parce que tout y devient sa vie, à elle.

Pierre Bonnard, La Salle à manger à la campagne