samedi 29 décembre 2012

ta voix dans des visages sans nom et trois autres livres avec Eric Demelis

































Serge Ritman
avec Éric Demelis


1. dans ta voix sans nom des visages

sous les yeux l’épopée
d’une voix avec nos contorsions
historiques d’ouvriers
figurants dans quel film
réaliste elle contraint
la maison est noire
en pleine réciprocité pathétique
ils font la vie passionnément
sans un grain dans le projecteur si ce n’est
étoile alors écume au cœur
de chaque corps sur les lieux mêmes
de qui passe repasse la vie
quotidienne et la ville
ouverte
en déflagrations inouïes
chaque voix dans un visage traversé
et rendu aux gestes du réel
ici
tout le monde dit bonjour tu
pleures et tu ris
les intimités de la communauté éclaboussent
ton désir rougit comme
les mains laveuses
tordent sans jamais blanchir
la guenille de ces phrases
et le cri d’amour d’une lingère
en liberté la tragédie
ouvre maintenant les rayons
d’une voix antique
tu résonnes
si ta voix personne derrière
les masques s’époumonent
sous les yeux
le raconteur plein de voix
montre les visages
à la sortie des usines
toute la lumière fait
relation


2. ta voix dans des visages sans nom

où sont nos usines depuis
la sortie en pleine lumière
de la répétition est-ce qu’on
voit un ouvrier faire son cinéma
s’il écrit où s’exposent les cadres
d’une histoire ça commence avec
l’opérateur au chômage dans les bras
ça tient l’ouvreuse à son rythme
pas les cadences et quelle forme
dans sa voix ça ferme hurle la presse
on dirait les journaux du soir tuent
le matin celle qui apparaît dans
le sujet
sa conversion opérative quand
les bourgeois invités à la première
toute la société a vu sortir
du spectacle les ouvriers combien
chacun son visage en pleine
figure
dans la pénombre des corps s’allongent
ensemble pour rejoindre
le chiffon rouge d’un phrasé
aucun acteur ni spectateur ils se
trouvent
une production rebelle ici
maintenant les je et les tu jusqu’au bout
des doigts
avec des nez pendent des yeux ou oreilles
une réalisation sans troupe fait
corps en chaque
un peuple sort d’où viennent
nos usines
j’ai l’odeur sur ma veste
je t’embrasse depuis
ma poste et t’envoie la lettre
d’un visage perdu
au cinéma tu viens faire
une toile


3. des visages dans ta voix sans nom

il ne sait pas qu’un chien
tueur lui boufferait le nez qui
il dit droit dans ses yeux lui gâche la vue
partout où il va et dans ce conteneur
fini de fumer sous la douche
avec le haillon finlandais
du rythme et cette loque de poème
cinématographiquement blanc
mais dans l’effet tous les rôles effacés
d’une masse ils crèvent en cris
le fond indifférencié d’une
rumeur
on dit sourde pour pas
l’entendre et voilà combien
de noms ici tu
nommes
un figurant au premier plan
t’arrête des heures à jouer
un lieu commun
je te fais
corps avec un lumpen en plein conflit
contaminé en gros plan plus près
encore écoute le rossignol
et mes rouges-gorges cacophonent
le besoin d’aimer pas malgré tout
mais danser les rixes
ta jubilation et ma volubilité en plan séquence
au sol l’emmêlement et les jambes nues
autour crient nos pauvretés
pour que quelque chose passe
passion sans le lamento d’un poème
d’action
en une image tout reste
la rage de la joie
rouge ta robe et tout noircit
cette lumière qui court avec les innocents
ton silence
chante toute l’histoire d’une
voix
sa résonance s’expose
devant tous les visages sans porte
parole
porteur d’air vers vivre
en pauvres diables
sans arrêt sur vertus sauf
sa bouche qui rit

4. sans nom des visages dans ta voix

comment les photogrammes
à la recherche des visages
perdus
pour remonter quelle histoire des sans
rôles avec un documentaire
ça déborde de paroles sans
informations pour se dire
l’urgence
on se figure sans
visages
en protagonistes comme
on dit sur le tranchant du couteau
d’un troisième homme caché dans les décors
alors la narratologie oublie
à jamais les non-actants
et les historiens
composent au singulier les têtes coupées
sans le pluriel mais
dans l’effet de masse ils crèvent
en cris la belle attitude
est-ce un rôle pour les martyrs
de la picture restent les images
aux pieds nus
et les mains entrent dans le cercle
différent comme les autres
dans la fange d’un vers
ou ce ton
caravagesque qui descend
dans les bidonvilles de l’industrie
cinématographique ou l’évangile selon
cette science abstraite minée
de mythes
alors la fable d’Anna et son fils mort
comme sa grand-mère défie
toutes les élégances
la fumée ne sait pas monter droit
sur un papier qui brûle
tous les fascismes
de poèmes pleins de mots
d’ordre
ils défilent et elle
tient tête
j’entrevois ta politique
un dépouillement de vivre
où commencent tous les visages
écoutent les douleurs
en chaque
l’archéologie de ta voix off
invente
l’impureté de mon peuple
sa technique corporelle
tous les gestes reviennent sous
la peau de ta voix
sur
vivent dans un à
venir aux aguets tu les portes
inoubliables nos sans-voix





samedi 22 décembre 2012

phrases rougies pour bondir vertes

Serge Ritman avec Aaron Clarke

phrases rougies pour bondir vertes

1
une bête il essaie d’apprivoiser
qu’elle bondisse sur sa grammaire
défasse syntaxe et rougisse termes
sans rapports verte il la sent proche
2
elle fait verte comment la bête
quand rouge à quatre pattes lui
proche dans ses contradictions
elle au flair lui ouvre son bondir
3
s’il semble vite son corps fuit
elle bondit vers ce qui déborde
appelle le sait bien rouge mais
sa peur verte de tout s’abandonner
4
du cadre vert de ses références
elle sort il revient tout rouge
lui ouvrir prend peur si jamais
plus la retrouver si proche bondit






jeudi 20 décembre 2012

corps tournés vers qui peint

Quelques notes en passant au musée Marmottan qui expose des peintures baroques flamandes provenant des musées royaux de Belgique. Je reviendrai avec d'autres notes parce que je suis resté autant de temps avec les Monet (salle sublime)...


Cornelis Schut (1597-1665)Suzanne et les vieillards
Huile sur toile - 118,7 x 107,5 cm
Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts
Photo : Galerie Jacques Leegenhoek


un corps tourné vers qui
émerge
d’un drapé marmoréen
cette chair comment Suzanne
sort ou entre
du bain des regards
ou des mains avec ces touchers pour voir
sans y toucher qu’ils disent
plein de mains
le rouge aux joues
elle se concentre sur
sa blondeur cernée

Portrait de Jean-Charles de la Faille, par Antoine van Dyck, 
Musées royaux des Beaux arts de Belgique, Bruxelles

la main gauche pose sur
l’habit noir son drapé sobre
c’est la droite qui tient le compas
la gauche décidément
répète le globe le savoir l’étendue
j’y reviens comme le regard souligné
léger accent blanc du revers du col
l’autorité nous fixe

sa pensée froide ou c’est la chaleur
et le calme d’une recherche
obstinée
je reste
incertain comme l’éclat
mais sans aucune agressivité
sait-on jamais
de la main gauche elle repose


Jacob Jordaens, Le roi boit, Musée de Bruxelles






ça déborde ça crie ça hurle ça chahute
ça gueule ça dégueule et ça essuie les gueules
les fesses et les joues roses

seuls les liquides reposent à l’horizontale
dans des verreries pichets et étains où miroitent
ces visages caravagesques pleins de souffle

il est des nôtres le roi avec sa couronne
ça chante ça gueule ça carnavale ça galette
de partout ça déborde de peinture


David Teniers le Jeune (Anvers, 1610 – Bruxelles, 1690), Repos à l’ombre 
Huile sur toile, 119 x 190 cm Acquis du marchand d’art Charles Sedelmeyer, Paris, 1877



pisser dans l’ombre c’est un homme
au soleil des ustensiles sous l'oeil d'une ménagère

au centre du jour un rameur émerge
ou un marcheur d’un tertre éclairé

les feuillages sombres les frottis peints
sous la lumière nuageuse fumeuse

tout le paysage s’enfonce exactement là
où le rameur peine le marcheur traîne

une tronc est-ce une tempête ancienne
pointe la scène et son détail

il pisse encore dans l’ombre
presque bleue et la peinture coule de source