mardi 16 avril 2013

le je-ne-sais-quoi de la voix (avec Alexis Pelletier)




A propos du livre d'Alexis Pelletier, Comment ça s’appelle, Tarabuste, 2012.

Le titre fait également la clausule. L’expression est interrogative ou assertive. Elle est donc à la fois enfantine et savante, à la fois la visée d’un émerveillement plus que d’un questionnement et d’une attention au faire du langage plus qu’une visée ontologique. Ce qui renvoie immédiatement à l’art des références d’Alexis Pelletier. Si vous n’êtes pas musicien, comment comprendre ces nombreux qui de Charpentier à Webern en passant bien sûr par Schubert et combien d’autres (Monk, par exemple) sans oublier Fischer-Dieskau et son pianiste Gerald Moore… Et, tout aussi bien, si vous n’avez pas quelques références littéraires, comment saisir « l’image-Baudelaire » ou le « SINGBARER REST » (reste chantable) de Paul Celan extrait de son Atemwende et les nombreuses autres citations de la bibliothèque de l’auteur. Sans compter ce qu’on peut inférer tel ce « qui suis-je pour dire je » qui fait résonner bien des poèmes de Bernard Vargaftig dont je sais la forte affection poétique que lui porte Alexis Pelletier. Et il y a « ô cher Apollinaire » ! Au musicien et littérateur, il faut adjoindre l’amateur des peintres et des danseurs sans oublier bien d’autres références à la chanson, aux aléas du monde comme il va ou ne va pas. Mais ces références qui dessinent des constellations dans l’atlas d’Alexis Pelletier ne seraient pas les réponses aux questions d’un enfant, d’un lecteur, devant la merveille d’un ciel, d’un chant, d’un air, d’une danse, que sais-je ? pas plus la boîte à outils d’un lecteur ou d’un penseur en poésie ou littérature sur ses moyens d’expression ou sur les fins du langage…
        
Certes, les références dans et par leur écriture comme circonstances ou affinités électives, importent pour porter la merveille et penser ce que le langage nous fait. Et elles se découvriraient en même temps qu’elles l’offriraient, la merveille, ou qu’elles subjectiveraient ce qui se fait. Aussi, dans et par ces circonstances et affinités emmêlées, le lecteur ne peut que s’élever et jamais se sentir rabaissé puisqu’il n’est pas question de maîtrise mais d’un « chant commun ». Mais les références et les affinités ne la font pas tenir, la merveille ou le poème de la réflexion à voix haute. Comme l’auteur le dit avec ce mot caché au départ, elles se cherchent dans et par un je-ne-sais-quoi, un moment appelé peut-être « la mélodie ». Ou encore : « dans la mélodie quelque chose » qui « danse encore et encore ». Les références et les affinités ne suffisent pas pour s’y tenir, à la merveille et au poème, « dans l’écriture / c’est-à-dire dans notre amour ». S’il y a la visée du « maintien de la langue », il ne s’agit aucunement d’une défense des « cadavres de langue » mais d’une exigence d’« impulsion » – ce sont ses propres termes – pour « que la phrase danse ». Avec des dangers tout à fait conscients : que ce soient « le côté sentence », « le coup rabâché de la liste » et encore « la sophistique du comme ». Alexis Pelletier ne mesure pas mais, en funambule du poème, cherche sa tenue, sa retenue. Et s’il s’emballe dans l’élan du poème, il évite les emballements de ceux qui savent sans penser ou pensent sans savoir.

La réflexion qui soutient le chant, ou est-ce l’inverse, accompagne la recherche d’un « état de suspens », alors même qu’il s’agit de « marcher », de continuer à traverser les mots, les références, les affinités : aucune stase même s'il y a des stations. Tout est passage dans une pluralité principielle. Alors, c’est au bord d’une déréliction, ou souvent l'effroi côtoie le désir, qu’apparaît alors « la voix » :  « c’est le silence entre les mots ». Ce livre nous fait vibrer et écouter ses silences dans et par sa volubilité. Car, au cœur de ce livre que des questions taraudent, mille et une, ce ne sont pas des réponses qui sont attendues mais « notre chant commun », c’est-à-dire une relation. Jusque dans son « agonisme » :
        Et alors
        comme tout se renverse
        ça ne finit jamais
        il n’y a pas dans l’écriture c’est-à-dire
        dans notre amour de fin et c’est la force
        que tu me donnes

On aura saisi la tenue d’un tel livre : ses allures variées y concourant toutes avec force. Sa teneur est sa tenue, une façon d’interroger et de partager références et affinités : comment ça s’appelle. Poème qui tient parole :
         ce qui est tu n’est-ce pas
         ce n’est pas ce qui se tait




On peut lire aussi un autre livre d'Alexis Pelletier paru aux éditions de l'Amandier (compte rendu sur cette page: http://revue-resonancegenerale.blogspot.fr/2013/04/sur-une-voix-pleine-de-mains-tenues.html)