mercredi 22 janvier 2014

Parler avec le poème : James Sacré ou la parole donnée

James Sacré, Parler avec le poème, Genève, La Baconnière, coll. "Langages", 2013.


James Sacré, c’est la théorie de la pratique et la pratique de la théorie malgré qu’il en ait des propositions trop affirmatives mais celle qui ici commence n’est-elle pas plus de l’ordre d’une éthique interrogative que d’une attribution définitive. C’est qu’il faut se mettre alors à lire tout James Sacré pour trouver et la théorie de la pratique et la pratique de la théorie : non qu’il faille lire des essais et des poèmes ou des entretiens et des livres pour trouver une théorie et une pratique mais tout simplement parce qu’il faut écouter la théorie dans la parole du poème ou de l’entretien et la pratique dans le poème ou l’entretien comme expériences continues de pensée de ce qu’une telle parole fait au moment même où son poème s’écrit, se lit, se dit… Aussi, il me semble que James Sacré défait toute prétention métapoétique, la sienne aussi bien que celle de ses lecteurs même patentés, qui viserait une quelconque maîtrise du poème – je pense que c’est de ce côté qu’on peut le dissocier de Ponge ou de l’effet « Ponge » –, autant qu’il se défie de toute spontanéité athéorique qui déconsidérerait le poème alors que ce dernier ouvre à une transsubjectivation réflexive au cœur de « l’humaine condition » (Montaigne) parce que s’apparaissant à elle-même, cette relation de sujet à sujet, dans et par le poème comme activité théorique et pratique d’un même geste, d’une relation justement dans et par le langage à contre-communication et à contre-essentialisation de la poésie, de l’autre, du moi, de l’homme, de la terre, de l’être – en cela il est certainement plus contemporain d’un Sponde que d’un…
Un tel geste n’est pas réductible à quelque(s) procédé(s) que ce soi(en)t car il est justement l’écoute d’une pluralité à l’œuvre dès que langage et relation : « parler avec le poème », c’est à chaque poème ouvrir la parole et la relation à tous leurs gestes emmêlés où l’enfance, l’ici et l’ailleurs, les corps, les animaux, un arbre, un toit, une parole à peine perceptible prise au vol, l’âge, un vêtement, une lecture qui revient, un ami si cher, la compagne, un renard, le poème s’échangent leurs obscurités et leurs lumières dans des mouvements de parole qui font signe de vie, rencontre, écriture, lecture où tout, c’est-à-dire chaque individu s’individuant, bouge : mouvement de la parole dans l’écriture, de cette parole à chaque fois geste en relation au deux sens du terme puisque s’y associe intimement une vie racontée et une relation nouée.
Les écrivains écrivent dans la solitude mais les rencontres sont au fond assez nombreuses où on leur demande de nous en dire plus comme si le poème devait s’accompagner d’explications, d’attestations, de biographèmes – comme proposait Barthes  - qui viendraient confirmer, infirmer le poème… Bref, les écrivains doivent faire leur com. ! Aucun n’y échappe avec nos réseaux sociaux et ce serait depuis toujours. Là encore, cette solitude qui trouve ses échos relationnels peut se continuer ou se perdre, c’est selon ! Aussi quand James Sacré regroupe les entretiens qu’il a réalisés sur une trentaine d’années (1979-2009), il ne les dispose pas les uns après les autres comme dans un plan de com., il les emmêle non pour perdre de vue ses interlocuteurs mais pour mieux les retrouver dans l’aujourd’hui d’une écriture qui n’en finit pas de se perdre dans la relation, ses histoires et ses liens, ses lieux et ses gestes. On aurait pu croire alors que cette recomposition des paroles aurait pu rattraper ce que l’auteur aurait raté lors de chacun des entretiens et ainsi ramasser une théorie ou unifier une pratique… Il n’en est rien ! En remixant ces paroles échangées, James Sacré fait monter un nouveau poème, un livre-poème comme un poème-relation de « l’ancrage » au « fourniment pour écrire », deux parties autour d’une courte anthologie de quelques poèmes. Ce poème ne cesse de reprendre son geste dans une pensée du poème qui ne peut s’arrêter autrement qu’à continuer le geste lancé. Aussi, je ne peux m’empêcher de constater combien ce gros livre ne se répète à aucun moment dans ses traversées des pays, des livres, des expériences et des rencontres par le poème : c’est cette dernière orientation qui emporte tout dans une aventure qui ne peut en finir autrement qu’à recommencer par voix et vies avec cette « pierre verte » qu’évoque James Sacré in fine « avec Jean-Christophe Belleveaux », qui passerait de mains en mains, de bouches en bouches, de pages en pages, de poèmes en poèmes comme une parole donnée.



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