lundi 11 août 2014

l'écriture d'Armand Dupuy va avec (une rapide lecture de Mottes froides)

Armand Dupuy, Par Mottes froides, Châtelineau (Belgique), le Taillis Pré, 2014.

L’écriture d’Armand Dupuy va avec. Elle va parce qu’elle n’attend pas un dispositif bien réglé, une rhétorique huilée, une pensée concoctée. Elle va parce qu’il s’agit d’avancer non pour quelque progrès attendu mais pour répondre au geste qui lui n’a aucun besoin de dispositif – philosophique, linguistique, politique voire même poétique… Son écriture fait ce qu’elle dit : « on met toute sa tête dans le geste : on dévale » (p. 15). Elle va avec parce que jamais elle délimite un quelconque solipsisme du geste : il est toujours dévalement avec ou, comme titre la série qui rythme ce livre, « une suite sans ». C'est sans savoir, sans explication, sans justification, sans programme. Suivre sans raison: dévaler ! Il écrit toujours une suite : cette « suite sans » est écrite dans le sillage (citation lançante) d’Israël Eliraz. Et l’auteur remercie in fine treize amis qui ont « accompagné les versions de travail – ou des fragments – de plusieurs textes par leurs dessins, peintures, collages ou photos, sur des papiers manuscrits à quelques rares exemplaires ». La suite des amis donne le courage de dire parce qu’on sait qu’avec Armand Dupuy, l’écriture n’est pas affirmation péremptoire, diction sûre de ses effets. Elle est toujours l’hésitation : « peut-être qu’il faudrait se taire » - on n’oublie pas son Mieux taire paru chez AEncrages, donc doute au travail dans une parole qui tient à cette « sale / manie d’amasser le peu dans un peu de mots » (p. 37) : la manie fait la manière ; le rythme d’amasser le peu fait la relation – une histoire et combien de liens ! Mais qui écrit dans ces accompagnements amicaux, amoureux, humains ? Le sujet du poème (de l’art) avec Armand Dupuy s’invente au plus juste de gestes corporels qui font toute une anthropologie pleine de corps parce que pleine de langage : « comme les mains sur la table, deux bêtes perdues » (ibid.). Il s’agit bien « d’appeler » (p. 40) et l’enjeu n’est pas mince – on pourrait même dire qu’il est politique au sens le plus fort du terme, disons alors éthique. Ce non savoir de l’écriture - qui peut répondre à un tel appel ? - est alors comme un avènement : « je ne sais / quoi s’émeut : presque une aile sur des barbelés » (p. 41). L’écriture est alors au plus près du vivant, le vivant de la vie comme de la mort, du ténu de ce qui résiste, l’invu de tout ce qu’on voit : « la bataille d’une phrase » (p. 73), comme l’écrit Armand Dupuy évoquant un travail manuel avec une brouette… La rime et la vie chez Armand Dupuy, c’est certainement ce « on patauge » qu’on croirait emprunté à Antoine Emaz mais ici il est fort de ses « mottes froides » et donc bien à lui ! Jusqu’à cette voix dans la voix qui conclut sa « suite » : « Voilà // je voudrais te dire il faut s’inventer / tu n’es pas là. // Autour // rien n’a bougé » (p. 76). Oui, l’imperceptible de cette écriture est l’immense de son invention : son écoute – c’est toute la qualité magistrale de cette écriture, « sur / le point d’aboutir se dresse sans nom, c’est tout » (p. 25). C’est immense, je le redis…


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