vendredi 20 novembre 2015

à quelques pas de nos rires... vers Soni Labou Tansi


il y a un saule qui pleure dans La Troisième France
il est au bord de la Seine et Soni ne regarde que lui

voilà un livre gros de poèmes et il en manque beaucoup
mais je les entends tous qui disent très fort maintenant

tous ces poèmes raturés biffés comme recommencés
courent vite vite et nous rattrapent et voilà qu’on devient

oui on devient clair-de-verbe comme un clair-de-lune
et si j’ai chanté Mao avec Soni je vais passer ma mort

à renverser la vie dans des racontages au bord du fleuve
pour hurler oh que l’espoir est inhabitable c’est le poème

qui nous habite subversivement pour tout déménager
le Congo et la Seine l’enfer et le paradis et pour construire

des villages de visages dans un corps qui bouge sa langue
de répétitions en répétitions c’est la vie cyclone la rage

de tempête

et tu creuses l’énigme Soni voulez-vous que je
vous dise ? tout est dans tes ici et tu nous donnes voix

dans la viande mais ta boucherie invente des gestes rythmes
nouveaux où jamais tu habites ici et toujours avec nos sœurs

goûtant la nuit vers des recommencements dans l’émeute
de naître par-dessus toutes les culpabilités incorporées

et contre les nihilismes tu écoutes en intensifiant le silence
nous encercle mais c’est terrible cet écrasant vertige d’écraser

alors avec des gestes d’assassin tu écris tout contre la matière
en courant parce qu’avec toi je suis traversé par le plus vivant

la longue marche au fond de la chose humaine t’épuise
sans que jamais tu ne cesses de creuser dans la sève noire

tu répètes l’écrasement qui nous monte à la gorge pour
le combat des intérieurs dans des démangeaisons mais crier

était trop simple et voilà que tu demeures dans des poèmes
ici et ici et ici jusqu’à sa majesté VERTIGE sans savoir à qui

est le poème et le temps de
dire que ce grain de sable est

une carte du monde pour tout refaire dans tes naissances
Soni recommence mon poème essoufflé dans ton entêtement



il était
une fois
un boxeur
contre
les idées
pas que
les toutes
faites
les idées
qui passent
pas par
la viande
qui titre
l’homme
et pas qu’une
fois
il ose
chaque fois
que sa fougue
quittait
les ondes moyennes
pour qu’un volcan
éructe
sa vie
hors frontières
pour couper
court à tout cet
Occident
où se défait
l’humain
c’est Soni
c’est la rage
d’aimer
et ses camarades
c’est nous
lisons
tout son branle
bas de vivre
pour enfin
respirer
tout essoufflés
à toute voix
même dans
la boue
du poème
toute la
solitude
et pour
nous retrouver
avec la fête
de dire
toutes les fois
qu’il revit
je suis moi
volontaire
à la condition
d’homme
et c’est fort
avec Soni
chacun peut
faire le poème
de sa vie
il tient
tête
à ceux qui renoncent
il vrombit
sans hésiter
de toutes les rimes
et refus
il relie jusqu’au
vertige oui
Soni jusqu’au
silence de crier
comme des nègres
nous buvons
l’insaisissable
dans tous les rêves
de t’écrire




bonsoir Soni
dans quelle étoile
tu as sommeil
fonce dans la terre

dire le premier oui du monde dans tous les refus et les recommencements
voilà comment tes poèmes inventent un je contre la tragédie des logiques

et ton lecteur perdu dans des mondes sans espoir écoute ta voix qui très passe

dans ta fière turbulence pour nous emporter chacun et chacune danser dans
notre sang comme c’est toi qui déborde là-bas et dis très fort dormez les choses




samedi 14 novembre 2015

v'ivre un 13 novembre 2015

comment dire qu'on n'arrête pas la vie
hier j'étais au milieu des oeuvres de Gherasim Luca avec Micheline Catti juste avant de rejoindre la gare Saint-Lazare au moment même où des innocents mouraient
alors v'ivre

je reprends ci-dessous deux poèmes écrits en visitant l'exposition Van Gogh+Munch à Amsterdam parce que d'une ville à l'autre, on continue à voir, à penser, à vivre

voir le ciel dans l’amandier en fleurs
l’envol de ta beauté ou les pousses
de ton énergie tu traverses mon ciel
et portes toute ma joie c’est loin
tellement qu’on part mais le noir
c’est aussi le blanc l’éblouissement




















Vincent Van Gogh, « Amandier en fleurs », 1890.


le corps tient-il dans ton regard
ou mes mains croisées car c’est
toute ta robe d’un noir Manet
et toutes ces bouches taches
ouvrent le tissus pour voir l’ombre
la mienne et venir embrasser
nos folies que de tenir un corps
nos noirceurs sous le camée
qui serre ta gorge et la raie
tient toute ta chevelure comme
les deux mains j’agrippe un vertige
l’eau du mur attend notre étreinte





















Edvard Munch, « Inger in Black and Violet », 1892.

lundi 9 novembre 2015

Gertrude Käsebier : une femme voit ce que j'entends

(notes prises lors de l'exposition "qui a peur des femmes photographes ? 1839 à 1919")

Ce n’est pas seulement que je suis soucieuse de faire des photographies pour les autres, j’en ai avant tout besoin pour moi-même. Je veux revivre la vie par ce biais. Je veux voir ce que la vie fait aux autres. (…) C’est ma façon de vivre au maximum, que de voir les autres, et montrer par mes photographies que j’ai vu cela. Je ne considère pas mon travail en termes de photographies mais en termes d’opportunité.
                       Gertrude Käsebier, 1907



c’est Rodin en présence d’une femme
il lui donne contre l’épreuve
une sculpture il correspond
dans ce devenir modèle de Rodin
mué en corps nu et modelé
il pose sa main massive sur un bloc
sans regarder l’objectif il est vu
et la voit en la touchant
d’artiste à artiste elle l’a pris
il la touche en laissant faire
son œil jusque dans sa main
pas d’autre modèle qu’épris

(« Auguste Rodin dans son atelier », 1905)

le nu du fond vient voler
quelle vue prise dans les bras
comme des ailes au bord du rocher
obscur toute la nuit vive
la sculpture fait corps
tenue par le pubis noir
la photographie fait voir
un rêve une ombre blanche
                                               
(« La chauve-souris », 1902)

regarder en face
et préserver l’intégrité
les yeux font relation
dans la nudité
le visage montre
tout le corps
à sauver du savoir
elle le connaît
sans dévoiler
je rougis ma pâleur
de te voir
comme tu es visage

(« The red man », vers 1900)

elle se tourne
pas pour jouer
affronter à deux
celle qui voit
la force et celle
qui voit le regard
tout contre le danger
accorder le violon
dans la blancheur
d’une robe prêtée
à deux le corps
peut vivre
dans nos déguisements
et ta chevelure cerner
mes yeux perdus
pour fendre la glace
des refus tu affrontes

(« Zitkala Sa, Sioux Indian and Activist », vers 1898)

la joie d’étendre
dans une danse
tout le linge
bas noirs qui zèbrent
et draps blancs qui fantôment
les gestes vifs d’un sourire
contre toute la souffrance
le linge rend propre
tu lui souris elle
te libère dans tes beautés
pour défaire les
séparés


(« En noir et blanc », vers 1900)