mardi 6 janvier 2015

Arpentages sans franchir

Armand Dupuy, Sans franchir, Montpellier, Faï fioc, 2014.


Ce livre constituerait la résultante de multiples expériences entre fonte (« fonte sans neige ») et infusion (« on laisse infuser »), envol et chute, tête et oiseau et bien d’autres pour qu’en fin de compte « on mesure ça dans sa bouche ». Il y a en effet un travail d’arpenteur que le verbe du titre signale jusque dans la formule négative – et tout est de l’ordre d’une poétique négative comme on parle de théologie négative : Armand Dupuy arpente la page, le livre comme il arpente la maison, l’atelier, la route, le paysage, les matériaux, les animaux… Cinq séries de six, sept, six, sept puis douze poèmes qui font chacun comme un carré de 13 lignes (vers ?) d’environ 13 syllabes (un peu moins, un peu plus) avec une exception : le carré final inachevé avec une onzième ligne courte : « mais si seul avec ». Travail de peintre, « obscurité travailleuse », qui se coltine le tableau comme une fenêtre (« ce tableau faible ») ou comme une phrase qu’il faut lancer, reprendre, rallumer : « avancer sans progrès ». Tout est dans l’obstination butée un peu comme ces « taupes » auxquels bien des moments de l’écriture s’accrochent : « On tire à soi cette terre et l’on demande / comment dans si peu tenir, si seul et cousu ». L’énonciation, je l’ai suggéré, est d’abord expérientielle : un sujet de l’expérience s’anonymise pour mieux partager l’improbable, « l’impossible » – « c’est tout ce que j’aime », écrivait le poète russe Annenski au début du XXe siècle… Ce qui est étonnant dans cette expérience partagée pour être instamment continuée, reprise, refaite dans les deux sens du terme – le lecteur y pénètre parce que justement « parler n’achève pas » –, c’est que, dans et par ces essais réitérés (« on cherche ce qui répète »), « on reste sans franchir » - d’où le titre qui pointe énigmatiquement la force au travail. Aussi je me dis qu’il s’agirait d’une épopée dont les titres des séquences (« Poumons » ; « Chutes » ; « Route » ; « Chut ! » ; « Fonte ») signaleraient les « moyens » (au sens de Reverdy) d'une épopée vocale d’un vivre-écrire-peindre sur le qui-vive : « tout rate sauf l’attente ». Ce « tenir là » fait la force d’une telle obstination contre l’époque, le culturel, toutes les certitudes qui voudraient faire croire au progrès des acquis de l’art, monnayables dans la circulation-communication quand « ce qu’on cherche se rassemble et se / défait, recommence – une proie friable ». Ou, autrement dit, reponctuant un titre de Valérie Rouzeau (Unes, 2000), « La neige, rien » ; laquelle concluait par un « pour Antoine Emaz » qui est certainement une des voix « de peu » (Tarabuste, 2014) de l’épopée d’Armand Dupuy, ne serait-ce que pour « l’air soudain s’engouffre et sauve » : « A lutter là, contre rien, ce seul vertige – le cône / clair des yeux dans la voix. »

Donc, « la fonte, la fin » qui ouvre aux passages – prosodie sémantique des paronomases (la plus tenue: « non pas voir mais passer, penser, pisser par l'oeil » –  dont, par exemple, celui des « plaques froides et collantes / à la pelle comme reviennent les portraits d’O. / soudain » (je souligne). Roman Opalka qu’Armand Dupuy cite explicitement m'évoque bien évidemment Bernard Noël, son journal de l’atelier d’Opalka (Le Roman d’un être, POL, 2012), mais c'est tout le livre dont l’expérience se construit dans le continu des Extraits du corps (Minuit, 1958) : « C’est une quantité de neige / dans la bouche : l’image vient bête, on s’attarde. / Les pensées se touchent, les jours aussi, les mains ». L’écriture comme attente (« j’attends » est une des rares énonciations en je) non d’une apparition mais d’une disparition comme chez Opalka : une disparition à la Beckett : « tout ça poussé fort derrière les dents ». C’est bondir, du cœur même d’un impossible ! Défi donc fait à tout ce qui arrête le vertige, le poème, en travaillant obstinément un « sans franchir ».
Alors je retourne tout et pense vraiment à la jubilation intérieure de Kafka dans ses arpentages entre terrier (qui l'« occupe trop ») et métamorphose (« sa forme horrible lui servirait à quelque chose »)...

samedi 3 janvier 2015

écrire aux côtés d'Aaron Clarke

écrire fait relation - où est-ce la réciproque :
on ne sait pourquoi puis on voit comment :
quatre ans sont passés et voilà maintenant que ça continue :
les livres avec des peintures, des lavis... d'Aaron Clarke :
  • Parle dans ta voix, manuscrit de Serge Ritman, (4ex), juin 2011
  • dire bondir, manuscrit de Serge Ritman (4ex.), Ed.centrifuges, août 2011
  • Rouge c’est bête, manuscrit de Serge Ritman, (6ex.) Ed. Livre Pauvre, août 2011
  • Bambineries, manuscrit de Serge Ritman, (4ex.), février 2012
  • phrases rougies pour bondir vertes, manuscrits de Serge Ritman (4ex.), décembre 2012
  • pas la tête à ça, manuscrit de Serge Ritman (3 ex.), février 2013
  • ça traverse, manuscrit de Serge Ritman, (6ex.) Ed. Livres Pauvres, juin 2013
  • C’est mal barré ton orange, manuscrit de Serge Ritman, Ed. Centrifuges, (4ex.), août 2013
  • si la rage poétique, manuscrit de Serge Ritman, Coll. Mémoires, (3ex.), février 2014
  • Outrevoir, manuscrit de Serge Ritman, livre unique, janvier 2015
  • Tes sinuosités, manuscrit de Serge Ritman, livre unique, janvier 2015
  • Au jour la nuit, manuscrit de Serge Ritman, livre unique, janvier 2015
  • sous le geste, manuscrit de Serge Ritman, Coll. Mémoires, (3ex.), janvier 2015
http://www.tessons.net/Serge-Ritman et http://martin-ritman-biblio.blogspot.fr/search/label/Clarke%20Aaron
et on va à ses notes d'atelier :
http://www.tessons.net/Notes-d-atelier