samedi 16 juillet 2016

ce souffle, ce rythme - à propos de la correspondance Paul Celan-René Char


De la correspondance Paul Celan-René Char (éd. Etablie par Bertrand Badiou, Gallimard, 2015), je ne retiendrai qu’un passage. Le voici aux pages 151-152 – c’est Paul Celan qui souligne :

Voyez-vous, j’ai toujours essayé de vous comprendre, de vous répondre, de serrer votre parole comme on serre une main ; et c’était, bien entendu, ma main qui serrait la vôtre, là où elle était sûre de ne pas manquer la rencontre. Pour ce qui, dans votre œuvre, ne s’ouvrait pas – ou pas encore – à ma compréhension, j’ai répondu par le respect et par l’attente : on ne peut jamais prétendre à saisir entièrement – : ce serait l’irrespect devant l’Inconnu qui habite – ou vient habiter – le poète ; ce serait oublier que la poésie, cela se respire ; oublier que la poésie vous aspire. (Mais ce souffle, ce rythme – d’où nous vient-il ?) La pensée – muette –, et c’est encore la parole, organise cette respiration ; critique, elle s’agglomère dans les intervalles : elle dis-cerne, elle ne juge pas ; elle se décide ; elle choisit : elle garde sa sympathie – elle obéit à la sympathie.

Tout est ramassé dans ce paragraphe d’une lettre, non envoyée à René Char mais bien enregistrée dans ses dossiers, lettre qui date du 22 mars 1962. Peut-être parce que Celan avance au plus loin de tout ce qui le tient au plus vivant du poème d’autant que la lettre met en garde René Char contre ceux qui le « singent », bref contre tous les faiseurs et autres suiveurs… Aussi ce passage tient-il ensemble une pensée corporelle du poème comme relation (ou sympathie) en acte et rythme de l’inconnu ou inconnu du sujet de la relation. Il faudrait souligner combien Celan oriente décisivement une telle pensée du poème du côté d’une critique non philosophique si ce n’est anti… comme critique dans et par le poème, c’est-à-dire invention d’un accueil à l’inconnu de la relation, du dire (« c’est encore la parole ») comme relation (« dans les intervalles ») : voix-rythme, souffle-relation.
Mais je ne veux rien expliquer, seulement souligner et donc répondre, « par le respect et par l’attente », à ce paragraphe qui n’est pas près de s’arrêter comme résonance vive d’une pensée du poème.

 

tu n’es pas sérieuse – avec Paul Klee



si ce sont des yeux
pour se perdre avec
ton odeur oblique
en verdure alignée
dans des pentes roses
où ça monte et descend
toutes les marches
des pétales de ton cœur
Roseraie, 1920, huile, plume, 
papier et carton, 49 x 42.5 cm 
Städtische Galerie im Lenbachhaus, 
Munich. Photo © Städtische Galerie 
im Lenbachhaus München © DACS 
2002


j’écris des lignes de rêve
en plantant ton jardin
l’ordre pousse ma cabane
et tout son fourbis
au milieu du chaos
de la multitude je n’en
finis pas de t’écrire


Jardin dans la plaine II (à la cabane de jardin), 1920, Huile sur papier sur carton
comme ma fenêtre
voit la vie en morceaux
je trouve trois couleurs
et je me répète te trouve
dans ton air enroulé
où s’emmêlent nos
proches et lointains

tu reviens toujours